L'étrange blogue - Mot-clé - cultureQuantité de choses.2023-03-19T13:28:27+01:00urn:md5:fb50d20b38a88adda5c20f24ab7f22e1DotclearFaire peururn:md5:86863b0fd5600c666e7b41d72a3ab4492010-05-30T21:39:00+02:002010-05-31T09:54:30+02:00ACcommerceculturepeurpublicitésciencetélévision<p>Mortelle randonnée</p> <p>Dans un <a href="http://blog.pnk.fr/post/2010/05/17/Quand-j-entends-le-mot-culture...">récent billet</a>, je parlais du maquillage culturel, l'utilisation de la caution culturelle pour tout faire passer.</p>
<p>Je viens d'en avoir encore un excellent exemple. Je suis tombé par hasard sur l'émission <em>E=M6</em>. J'adorais ce magazine scientifique quand j'étais gosse. Surpris mais content qu'il existe encore, je le regarde.</p>
<p>Cruelle déception : c'est devenu un télé-achat fondé sur les dangers domestiques. Avec, évidemment, la caution culturelle de la marque <em>E=M6</em>.</p>
<p>Ainsi, le premier sujet m'a appris que j'étais en danger de mort si j'osais emporter de la salade composée en pique-nique sans prendre de précautions. À l'appui, l'image de <a href="http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/2010/05/desolee-jai-trop-de-travail-en-ce.html" hreflang="fr">boîtes de Petri</a> montrant l'évolution d'une culture bactérienne obtenue à partir d'une salade piémontaise. Frissons dans les foyers, la gastronomie italienne nous en veut. Mais on ne la lui fait pas, à la ménagère-actrice : elle emporte son pique-nique dans un sac isotherme. La malheureuse ! Elle tient vraiment à crever, la gourdasse ! Elle a pas vu que le sac n'était suffisamment isolant que jusqu'à une température ambiante de 20° C ! Or, nous dit la voix-off, les pique-niques ont généralement lieu à 30° C. (C'est bien connu.)</p>
<p>Solution : la glacière. Mais garde ! Tout comme l'Italie, les fabricants de glacières nous en veulent : parfois, les glacières, c'est de la merde (démonstration avec mesure de la hausse de température du contenu). Il est donc indispensable d'acheter le top du top. Voilà donc notre ménagère prête à aller pique-niquer avec sa glacière de luxe pleine de denrées protégées. Protégées ? La voix-off n'est pas de cet avis et nous fait comprendre que la ménagère est décidément trop conne : elle a rangé les aliments en vrac, et elle a même pas mis de plaque eutectique ! C'est un coup à tomber sous les assauts de la piémontaise, ça, d'aller pique-niquer avec une glacière bordélique et sans eutectiques.</p>
<p>Et notre mère de famille suicidaire de mettre chaque composant élémentaire de son pique-nique dans une boîte en plastique séparée. De disposer ensuite deux plaques eutectiques froides au fond (vous savez, les machins bleus), puis <em>en premier</em> (c'est hyper important) les aliments les plus sensibles à la chaleur, en couches planes et bien rangées, suivis des aliments moins périssables et à nouveau deux plaques eutectiques car on n'est jamais trop prudent : pour peu qu'on ait aussi de la crème anglaise, des saucisses de Francfort, des champignons à la russe, du chorizo espagnol et de l'emmental suisse, l'absence de plaques eutectiques supérieures pourrait recréer les guerres napoléoniennes derrière les buissons.</p>
<p>Notons qu'avec une glacière équipée comme ça, mes grands-parents ramènent des civets de sanglier de Bourgogne en région parisienne sans qu'ils commencent à décongeler. J'imagine qu’<em>E=M6</em> crierait au meurtre et leur conseillerait de louer un fourgon frigorifique.</p>
<p>Le sujet suivant, quant à lui, expliquait que le meilleur moyen de ne pas manger de merguez trop cuites et donc, évidemment, mortelles, était d'utiliser un barbecue avec couvercle, contrôle de combustion (démonstration à l'appui, Bellemare ne fait pas mieux) et thermomètre.</p>
<p>Oh, je serais mauvaise langue en disant que l'émission n'est pas scientifique. On a quand même appris que :</p>
<ul>
<li>le polystyrène expansé est un excellent isolant thermique car il est fait de bulles d'air qui est un excellent isolant thermique (évidemment, ils ont oublié d'expliquer que c'est parce que la structure solide du polystyrène empêche l'effet de convection, sans quoi on mettrait de l'air à la place du polystyrène, n'est-ce pas ?) ;</li>
<li>le liquide contenu dans les plaques eutectiques est constitué à 99% d'eau mélangée à un gel qui ralentit la fusion de la glace (on ne saura pas pourquoi ni comment il la ralentit, ni de quel composant chimique il s'agit) ;</li>
<li>le charbon de bois permet d'obtenir des braises rapidement (on aurait aimé qu'ils expliquent comment du bois déjà carbonisé peut à nouveau entrer en combustion) ;</li>
<li>les aliments cuits à trop haute température sont dangereux (on ne saura pas pourquoi).</li>
</ul>
<p>Bref, l'émission n'est pas scientifique pour un sou. Elle est là pour vendre des produits. Et pour cela, elle fait peur.</p>
<p>D'ailleurs, les sciences « dures » n'ont quasiment aucune représentation à la télé. Mais c'est un autre sujet.</p>
<p>Quant à moi, que mes origines obligent à faire confiance à l'Italie et à la piémontaise, je continuerai à mettre mes pique-niques en vrac dans le sac à dos. Et, digne héritier de Néandertal, à faire confiance à mes yeux pour la cuisson des merguez. Bref, à faire des choses dont il est communément admis qu'elles ne tuent personne, sauf à la télé.</p>Quand j'entends le mot culture…urn:md5:7b56053c1dd1cc9ba266e303d68286242010-05-18T22:12:00+02:002010-05-18T22:12:00+02:00ACculturedivertissementmédiasréflexionsociété<p>… j'ai envie de sortir mon Google News.</p> <p>En prenant ma dose quotidienne de <a href="http://news.google.fr/" hreflang="fr">Google News</a> (je sais, c'est mal), j'ai noté que la rubrique Culture avait été renommée Divertissements. C'est anecdotique. Mais c'est peut-être aussi <em>symptomatique</em>.</p>
<p><img src="http://blog.pnk.fr/public/images/photos/courge.jpg" alt="~ Allégorie de la culture ~" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="~ Allégorie de la culture ~" />Google News a cela d'intéressant qu'étant un outil automatique, il sait révéler l'intérêt que l'on porte à des articles sans intérêt — vous me suivez ? On y retrouve, pêle-mêle, grands quotidiens nationaux, blogs documentés, blogs douteux (comme celui-ci), torchons de « journalisme citoyen » à la AgoraVox (voir à ce propos l'excellent <a href="http://www.mondaynote.com/2010/05/16/the-oxymoronic-citizen-journalism/" hreflang="en">article de Frédéric Filloux sur Monday Note</a>), dépêches brutes, le tout couvrant l'essentiel du spectre de l'information, depuis les <em>news people</em> jusqu'à l'actualité politique internationale en passant par la littérature, l'économie, les faits divers, l'actualité scientifique, etc. Seule l'information la plus spécialisée est laissée de côté.</p>
<p>Il est normal qu'on ait renommé Divertissements une rubrique Culture où abondaient les nouvelles sur la santé de Johnny et les analyses ô combien pertinentes (<em>ex falso sequitur quodlibet</em><sup>[<a href="http://blog.pnk.fr/post/2010/05/17/Quand-j-entends-le-mot-culture...#pnote-330-1" id="rev-pnote-330-1">1</a>]</sup>) de <em>Koh Lanta</em> par Morandini. J'ignore si les dessous technologiques du système de catégorisation de Google News auraient permis une scission entre une vraie rubrique Culture (littérature, cinéma, histoire, BD, philo, etc.) et une rubrique People. À la limite, peu importe. Dans un cas, le symptôme est un choix de Google dicté par la Sainte Demande du Marché, dans l'autre il est la contamination des informations, le mélange des genres. Dans les deux cas, la cause est une tendance plus générale.</p>
<p>On peut bien entendu s'intéresser aux derniers ébats de Brad Pitt et Angelina Jolie. Je m'intéresse bien aux engueulades entre Apple et Adobe qui, ces derniers temps, sentent aussi bon qu'un bébé Courjault après une panne de courant (classe, non ?). Mais il y a quelque chose de pourri (comme un bébé Courj… Bref) à entretenir une zone floue où savoir les noms des candidats de télé-réalité serait un bon premier pas vers une culture <em>discount</em> suffisante pour briller à la pause café.</p>
<p>Le divertissement rend nos vies plus agréables : tant mieux s'il s'épanouit. C'est l'effacement de la culture qui est embêtant. Les deux sont d'ailleurs <em>a priori</em> distincts. Le divertissement peut être culturel ou non, la culture peut être divertissante ou non. C'est la façon dont on nous sert l'un et l'autre qui les lie de façon ambiguë. La France est un pays où le divertissement rend coupable quand il est servi sec. Où le plaisir non dilué dans la souffrance est quelque chose de louche, de pas catholique. C'est aussi un pays où l'enseignement de la culture est souffrance. Aussi, pour s'absoudre, on transforme des faits divers en documentaires, des descentes de police en reportages. On a trop craché sur la télé américaine pour accepter de reconnaître que le public français n'est pas moins avide de sensations et d'instincts primaires qu'un autre. On crée une caution culturelle, on crée des marques qui tentent de véhiculer l'impression d'une certaine intelligence (<em>Capital</em> sur M6 en est un excellent exemple : la leçon économique véhiculée par chaque émission est proche de zéro mais la caution de l'émission dite économique déculpabilise les spectateurs venus en quête de sensationnel — on leur a tellement dit que lire ou regarder la télé sans se cultiver était un péché !).</p>
<p>À force de vouloir éduquer une élite culturelle gavée de grands classiques indigestes et de faire de cela une sorte de définition officielle de la culture, c'est exactement le résultat opposé qui est atteint : les pourvoyeurs de messages se sont emparé de formes culturelles (le journal, le documentaire, etc.) pour les vider, n'en garder que les coques mortes et y mettre des choses agréables — uniquement agréables, mousseuses, <em>light</em> et sans substance. On faisait pareil, à l'école, en glissant bédés et autres distractions au milieu des livres scolaires pour faire semblant d'étudier. Seulement, étant à l'origine du trucage, on était conscient de la manœuvre.</p>
<p>Inversement, l'apparition de ces formes pseudo-culturelles vides a permis une certaine stigmatisation de formes plus canoniques, au point qu'il est de bon ton, par exemple, de cracher sur le cinéma français d'auteur. On est ainsi dans une hypocrisie générale où il est plus respectable et facile d'apprécier <em>Capital</em> et <em>Zone Interdite</em>, divertissement instantané maquillé en culture, que de regarder <em>Cops</em> (vil voyeur !) et d'aimer <em><a href="http://blog.pnk.fr/post/2007/05/30/107-les-harmonies-werckmeister">Les Harmonies Werckmeister</a></em> (vil intello !), qui pourtant ne mentent pas sur leur nature et sont en cela bien moins dérangeants. Trouvé-je.</p>
<p>Et c'est encore le même processus de coquille vide qui est à l'œuvre quand des professeurs de français se vantent d'avoir dompté leur classe en leur faisant lire Harry Potter. Autant dire qu'il faut emmener au McDo un gosse qui refuse son dîner. De même qu'on n'est pas obligé de dégoûter les gamins de la nourriture à coups de choux de Bruxelles et d'endives au jambon, il y a suffisamment de grands livres passionnants pour trouver un juste milieu entre l'emmerdement de Balzac et la vacuité éducative d'Harry Potter (certes divertissant mais dénué d'enseignements et parfaitement inutile dans une salle de classe — mais la forme convient car c'est un livre).</p>
<p>Je reconnais à ce billet un caractère un peu bordélique. Qu'en retenir ? Sans doute, que la culture, celle qui parvient tant bien que mal à traverser les ans, à porter des idées et des enseignements qui nous permettent d'échanger et de penser plus facilement en tant que membres d'une même société, qui nous distrait et nous divertit, aussi — c'est généralement gage de durabilité —, cette culture n'aurait pas à craindre d'être renversée si on n'avait cherché simultanément à la déifier et à en faire un dieu trop craint et trop complexe à adorer. Si elle n'est certainement pas près d'être renversée, on a cependant commencé à l'occulter et ça ne fait pas de mal de s'en préoccuper.</p>
<p>Et on peut se dire que <strong>quand les pourvoyeurs de culture cesseront de cracher sur les pourvoyeurs de divertissement, le divertissement foutra la paix à la culture et lui rendra son territoire</strong>.</p>
<p>En attendant, il faut qu'elle continue à traverser les ans. Sinon, parmi des milliards de choses, on risquerait d'oublier cette phrase de <em>Fahrenheit 451</em> :</p>
<p><q>Le système scolaire produisant de plus en plus de coureurs, sauteurs, pilotes de course, bricoleurs, escamoteurs, aviateurs, nageurs, au lieu de chercheurs, de critiques, de savants, de créateurs, le mot “intellectuel” est, bien entendu, devenu l'injure qu'il méritait d'être.</q></p>
<p>Tant qu'on se souviendra que cela a un jour été de la fiction, on refusera que cela n'en soit plus.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://blog.pnk.fr/post/2010/05/17/Quand-j-entends-le-mot-culture...#rev-pnote-330-1" id="pnote-330-1">1</a>] D'une connerie, on peut déduire n'importe quelle connerie de façon pertinente.</p></div>