L'étrange blogue - Mot-clé - loiQuantité de choses.2023-03-19T13:28:27+01:00urn:md5:fb50d20b38a88adda5c20f24ab7f22e1DotclearFaut-il des quotas de boursiers dans les grandes écoles ?urn:md5:08aed89a909d3748d8d4771db5b0da112010-01-05T12:06:00+01:002010-01-06T00:26:49+01:00ACactualitésFranceingénieurloimétierpolitiquesociétééducationégalité <p>Je ne sais pas ce qui a fait le plus de bruit entre l'annonce faite par Valérie Pécresse d'un objectif de 30% d'élèves boursiers dans les grandes écoles, ou la position de la Conférence des grandes écoles qui craint en cela une baisse du niveau moyen.</p>
<p>Étant issu de cette filière, je vais me permettre de donner mon avis.</p>
<p>Il y a en France un problème évident de déséquilibre des chances et de discrimination sociale en fonction du milieu d'origine de chaque élève. Dans les faits, le niveau d'études des parents, leur richesse, leur disponibilité (donc leur métier), leur lieu de vie, leur origine sociale, etc., déterminent fortement le niveau d'études auquel peuvent prétendre leurs enfants. Cela met à mal le beau « modèle républicain » d'égalité des chances et il est normal d'y voir une injustice. Ainsi mes camarades d'école d'ingénieurs avaient-ils le plus souvent des parents médecins, ingénieurs, professeurs... Pas toujours : le système garde une certaine capacité à propulser vers le haut les élèves issus de milieux modestes. Mais les proportions sont largement biaisées. Quant aux couleurs de peau, les bouilles les plus colorées ne venaient pas de France mais de l'étranger. Les quartiers défavorisés restent relativement représentés en classes préparatoires ; ils le sont beaucoup moins en écoles d'ingénieurs.</p>
<p>On nous annonce donc un « objectif » de 30% d'élèves boursiers dans les grandes écoles, à savoir la proportion que l'on rencontre en classes préparatoires. Première remarque : est-ce aussi la proportion parmi tous les étudiants bac + 3 ? Si ce n'est pas le cas, alors il serait bien plus juste de viser cette proportion-là (que j'ignore) tant pour les classes prépa que pour les grandes écoles. Deuxième remarque, qui m'occupera jusqu'à la fin de ce billet : quand on dit « objectif », « viser », il y a une grande ambiguïté. Veut-on <em>obliger</em> ? Veut-on <em>atteindre obligatoirement</em> mais sans imposer ? Ou <em>souhaite</em>-t-on simplement cela avec la meilleure volonté du monde, sans rien entreprendre pour ?</p>
<p>Pour explorer la première hypothèse, il faut dire un mot du fonctionnement des grandes écoles. Le métier d'ingénieur reste un métier demandant une compréhension rapide d'une grande gamme de problèmes et une certaine vivacité d'esprit. Ce sont des traits qui ne s'acquièrent pas entre 20 et 23 ans. L'école d'ingénieurs n'est pas un terreau fécond où l'on peut, étant moins bon en entrée, devenir l'égal de ses camarades en sortie. Ce n'est pas un endroit où on se transforme, c'est un endroit où on se perfectionne. C'est la raison même du concours d'entrée : en recrutant des élèves à l'issue d'épreuves où ils ont dû faire fonctionner leur cerveau à plein régime sur un grand nombre de problèmes, les écoles s'assurent au mieux la qualité de leurs futurs ingénieurs, puisque les capacités d'analyse, de résolution, de résistance au stress et de gestion du temps disponible sont des clés du métier d'ingénieur. Ces épreuves, que tout élève-ingénieur a traversées, sont déterminantes pour la suite, bien plus que les trois années d'école qui suivent. Or, il n'y a pas de quoi, monsieur Chatel, être choqué quand on entend qu'une mesure de discrimination positive ferait baisser le niveau, car c'est la définition même de la discrimination positive : sélectionner selon un critère autre que le niveau scolaire. Dans une filière ayant la capacité de lisser les niveaux en sortie, c'est un choix qui peut se défendre (même s'il demeure injuste envers tout candidat évincé par un candidat moins bon — il faut croire que nos gouvernants préfèrent distribuer équitablement les injustices, plutôt que de chercher une justice unique). Mais dans un système qui repose presque entièrement sur la sélection, ce que sont les grandes écoles, c'est pour le moins hasardeux. Nous sommes, rappelez-vous, dans ma première hypothèse, celle où les 30% seraient un objectif imposé, donc un système de quotas, sachant que la proportion actuelle est de 15% d'élèves boursiers en écoles d'ingénieurs (et 10% en écoles de commerce). En sélectionnant 15% de l'effectif à un niveau inférieur à ce qui serait possible, le niveau moyen baisserait, c'est un fait. Voyons aussi les avantages : une meilleure mixité sociale au sein d'un métier qui demeure relativement prestigieux (même s'il a largement perdu de son éclat, l'ingénieur-technicien ayant remplacé l'ingénieur-inventeur tant dans les esprits que dans les faits). Cela irait évidemment dans le sens d'une plus grande paix sociale. Et moi-même, égoïstement, je me sentirais sans doute mieux intégré à mon pays si j'avais des collègues qui en fussent mieux représentatifs.</p>
<p>Ma deuxième hypothèse était que cet objectif de 30% soit quelque chose que l'on tienne absolument à atteindre mais pas à imposer. C'est-à-dire, rétablir l'égalité des moyens éducatifs là où elle est brisée : dès la plus tendre enfance. Réparer les quartiers difficiles, améliorer la mixité sociale en ne prenant pas exemple sur Neuilly qui a, souvenez-vous, préféré payer plutôt que de respecter les lois qui imposent un nombre de HLM par habitant. Un… <em>quota</em>, tiens, comme c'est curieux. Comme ça, les grandes écoles devraient abandonner leur légitime objectif de niveau mais certaines communes ne pourraient pas renoncer à leur absurde objectif de richesse ? Je clos cette parenthèse sark… sarcastique. Une fois le territoire réparé, donc, une fois la cité rétablie (je n'ai pas dit <em>les cités</em>), une fois l'aide apportée à ceux qui en ont besoin au moment où ils en ont besoin, la proportion de boursiers devrait naturellement redevenir la même sur les bancs de la fac et sur ceux des grandes écoles. Notons par ailleurs que le niveau scolaire national moyen serait alors bien plus élevé. Oui, ma bonne dame, ça va coûter de l'argent, mais je ne connais pas meilleur investissement que celui-là.</p>
<p>Quant à ma troisième hypothèse, celle de l'effet d'annonce et des bonnes intentions affichées… Nous autres scientifiques dirions que c'est une constante universelle de la politique actuelle.</p>
<p>Une autre constante chez nos gouvernants est celle de ne jamais chercher à réparer quand on peut se contenter de <a href="http://blog.pnk.fr/post/2009/03/11/Physique%2C-logiciel%2C-loi%C2%A0%3A-moins-de-r%C3%A8gles%2C-c-est-mieux">rafistoler</a>. Les quotas étant un gros morceau de scotch.</p>Téléchargement de voitureurn:md5:aa5b152ee1178417551c537e733a2b812009-11-02T00:55:00+01:002010-01-06T00:07:52+01:00ACcontrefaçoncopieDVDloitéléchargementvol<p>Usual suspect</p> <p>J'ai regardé ce soir le très bon <em>Infernal Affairs II</em> en DVD.</p>
<p>Mais je ne vais pas parler du film.</p>
<p>Dès l'insertion du DVD, on se paie, en prologue obligatoire, en plus du logo Studio Canal, un petit film qui dure facilement une minute, agressif, insultant, mettant en parallèle le téléchargement de film et le vol de voiture. On se prend en pleine gueule, en gros caractères rouges vibrants, des histoires de loi, de punition, etc.</p>
<p>Voilà donc le tout premier message qu'on adresse, avant même le menu, à celui qui n'est justement pas concerné puisqu'en train de regarder un DVD acheté. Non pas que j'attendisse un « merci », mais un rien du tout me convenait parfaitement, plutôt qu'une minute perdue de propagande aigrie. Est-ce que, quand on achète une voiture, on a droit à un sermon du vendeur sur le vol de voiture ? Ou pire, à chaque fois qu'on démarre, une voix moralisatrice sortant de l'autoradio ? (On pourrait d'ailleurs imaginer la campagne inverse : <q>Télécharger un film ? Jamais ! Alors, voleriez-vous une voiture ?</q> Bizarrement, ça ne sonne pas très bien.)</p>
<p>Aujourd'hui, pour moi, les deux raisons valables d'acheter un DVD plutôt que de télécharger un film sont la simplicité d'utilisation et la satisfaction de rétribuer les ayants droit. Une minute d'insulte obligatoire avant le menu, ça casse pas mal le plaisir d'utilisation (à peu près le temps qu'il faut pour chercher un torrent et lancer le téléchargement), et ça donnerait plutôt envie de récupérer son argent, si c'est pour le donner à des commerçants si délicieusement agréables avec leur clientèle. Il faut croire qu'acheter un DVD, de nos jours, fait de nous des gens louches.</p>
<p>(En plus, le téléchargement, c'est pas du vol, c'est de la contrefaçon.)</p>Physique, logiciel, loi : moins de règles, c'est mieuxurn:md5:19eb0157e318adfdaa742db29a5a15282009-03-11T01:43:00+01:002014-01-06T20:50:08+01:00ACconception logicielleinformatiqueloimétaphysiquemétierphysiqueréflexionscience<p>Dura bug, sed bug</p> <p>Je suis, par mon métier, souvent, pour ne pas dire tout le temps, confronté au besoin de résoudre des bugs informatiques. Des défauts, quoi.</p>
<p>L'erreur que la plupart des informaticiens font pendant des années (ou toute leur vie) est de considérer le bug comme un cas particulier d'une machinerie qui est par ailleurs correcte. <q>Tiens, il y a un bug quand on fait ça,</q> constate le programmeur. Ô joie, le branchement conditionnel est une capacité reptilienne de l'ordinateur. Il suffit donc d'éliminer le bug d'un <em>si</em> en pleine tête.</p>
<p>Au tout début du XXe siècle, Einstein planche sur le <em>bug</em> introduit dans la physique par les équations de Maxwell : la vitesse de la lumière serait une constante, indépendamment du repère où on la mesure. Or, la mécanique newtonienne, celle qui expliquait déjà les mouvements des planètes, la chute des corps et bien d'autres phénomènes, ne tolérait pas d'objet physique assez bizarre pour que, se déplaçant dans un TGV, sa vitesse vue du quai fût la même que celle vue depuis le wagon. Il y avait bien un <em>bug</em> dans la physique.</p>
<p>Einstein aurait été informaticien en début de carrière (ou informaticien médiocre en fin de carrière), voilà ce qu'il aurait dit : <q>La vitesse est une grandeur additive, sauf <em>si</em> c'est la vitesse de la lumière. Le bug est résolu car les observations collent désormais à l'énoncé et l'énoncé ne contient plus de contradictions.</q></p>
<p>Qu'a fait Einstein ? Il a considéré que l'ensemble de la mécanique newtonienne, un des fondements les plus importants de la physique, n'admettait pas le cas particulier de la vitesse de la lumière, mais <em>était</em> dans son ensemble un cas particulier, une <em>anecdote</em> d'une théorie plus générale. Comme dirait aujourd'hui un bon concepteur logiciel dans son dialecte abominable, Einstein a <em>refactoré</em> la physique. Réusiné, en français. Au lieu de se contenter de la retaper pour la faire tenir avec des bouts de ficelle.<sup>[<a href="http://blog.pnk.fr/post/2009/03/11/Physique%2C-logiciel%2C-loi%C2%A0%3A-moins-de-r%C3%A8gles%2C-c-est-mieux#pnote-252-1" id="rev-pnote-252-1">1</a>]</sup></p>
<p>Il en va de même en informatique qu'en physique : bug et fonctionnement correct ne sont ni l'un ni l'autre l'exception de l'autre. Ils doivent toujours être considérés dans leur ensemble comme le fonctionnement constaté du logiciel. Chacun des deux — fonctionnement voulu et fonctionnement nuisible — est un cas particulier d'une généralité. On ne traite donc pas un bug en empilant un cas particulier supplémentaire — un <em>si</em> — mais en révisant la conception générale afin qu'elle n'engendre plus que le fonctionnement voulu. Plutôt que de tuer le bug, on révise son univers afin qu'il ne puisse pas naître (et je ne parle pas du fait qu'il arrive ou non ; bien des bugs existent sans s'être jamais manifestés). Ça peut parfois être un travail très exigeant intellectuellement, qui nécessite une forte intuition abstraite, celle qui a horreur de l'exception et du cas particulier. Celle qui a horreur du <em>si</em>. C'est là tout ce que j'aime en informatique, la construction, la conception, quand arrive le stade où tout le comportement du système que l'on conçoit émerge d'un assemblage subtil de concepts simples, sans <em>conditions</em>, simplement des flux de données que l'on transforme. Et, réciproquement, quand d'un fonctionnement complexe on arrive à faire émerger une conception simple. Avec, toujours, dans un coin de mon cerveau, la physique en exemple, qui modélise à peu près tout ce qui nous entoure avec si peu de formules, si peu de briques qui semblent pouvoir décrire si peu de choses. Et pourtant.</p>
<p>D'ailleurs, il n'y a pas que les informaticiens qui aient du mal à adopter des visions d'ensemble généralistes et qui préfèrent coller des bouts de sparadrap les uns sur les autres pour résoudre les problèmes un à un au fur et à mesure qu'ils se présentent, plutôt que de réfléchir à des abstractions à la fois plus simples et plus commodes pour modéliser un système. Il n'y a pas que les informaticiens qui voient les choses à plat au lieu de se rendre compte que rond et rectangle, que solide et liquide sont tous des points de vue du même verre d'eau.</p>
<p>Il y a aussi les législateurs.</p>
<p>J'aurai peut-être l'occasion d'en parler une prochaine fois mais loi et logiciel ont <em>énormément</em> en commun.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Note</h4>
<p>[<a href="http://blog.pnk.fr/post/2009/03/11/Physique%2C-logiciel%2C-loi%C2%A0%3A-moins-de-r%C3%A8gles%2C-c-est-mieux#rev-pnote-252-1" id="pnote-252-1">1</a>] Je sais, Einstein n'était pas seul dans cette recherche. Citons au moins Lorentz.</p></div>