J'aime beaucoup le jazz. J'adore les concerts de jazz. Mais, faute de savoir ce qui passe, faute de trouver des gens avec qui y aller, faute de pouvoir m'y rendre (sans voiture, ça limite), les concerts de jazz me voient rarement. Il faut dire, aussi, que la programmation jazz à Toulouse n'est pas très étoffée. Hier soir, cependant, tous ces obstacles étant levés, j'ai pu me rendre à un concert dont je me souviendrai longtemps.

Il y a deux mois, Pascal, un ami passionné de jazz, m'annonce le passage dans la ville rose d'un guitariste « vraiment incroyable » pour sa seule apparition en France cette année : Uwe Kropinski. En effet, j'apprends qu'il se produit le 15 octobre pour le festival Jazz sur son 31. C'est en centre-ville. Parfait.

Nous voilà donc assis, samedi soir, avec mes honorables colocs Vincent et Nico, dans une belle cave voûtée du Goethe Institut en plein cœur du vieux Toulouse. Nous ignorons tout de la musique de Kropinski, mais une chose est sûre : la salle se remplit rapidement. Sur scène, une chaise, un micro et une étrange guitare acoustique. Kropinski arrive, applaudissements, il s'excuse un peu timidement et en anglais de ne pas parler français. Uwe Kropinski est allemand. Il sort un papier de sa poche qu'il lit pour nous souhaiter un bon concert, en français, puis s'assoit et joue.

C'est difficile de trouver les mots pour décrire la musique. Impros en subtiles dissonances, thème jazz. Aigus au timbre de piano d'une profondeur surprenante ; graves tirés et vibrants de guitare torturée. Les mains bougent peu et la musique s'affole ; mais on verra bien plus terrible tout à l'heure. Ce premier morceau est déjà plus qu'une mise en bouche.

En second, thème blues avec impro, « The Riff » si j'ai bien entendu. Kropinski, réservé et minimaliste quand il s'annonce au micro, explose quand il joue. Sa guitare devient une percussion sophistiquée ; un plastique froissé sous son pied marque le rythme ; et les mains pincent et grattent et frôlent et tordent et tirent et plaquent et… bon, vous l'aurez compris, c'est subjuguant.

On revient au jazz, avec une impro sur un thème de Frank Zappa, King Kong. Toujours, de la virtuosité en de continuelles et subtiles variations.

Puis, avec beaucoup de pudeur, Uwe Kropinski annonce qu'il va jouer un morceau écrit pour son père qui était gravement malade. Commence alors une phrase continue, mélodique et harmonieuse, mélancolique, construite de manière à ne jamais tomber. C'est un talent exceptionnel que celui de construire une musique où la continuité de la phrase est plus belle encore que la tonalité finale à laquelle on s'attend inconsciemment.

On passe à deux morceaux qui lui furent inspirés lors de sa tournée en Afrique de l'Est, en particulier à Madagascar. La guitare devient un vrai ensemble de percussions : frappée ici elle donne un son mat, frappée là elle sonne comme un bongo, et sur le bas de la caisse ce sera un coup grave et résonant, plus grave encore s'il place son autre main sur une des ouies de l'instrument. Mais au fait… Voilà plusieurs minutes qu'on entend simultanément percussions et guitare. Ce type est incroyable, il joue de la guitare à une main. Et ce n'est pas comme s'il se contentait des six notes de base.

Uwe Kropinski nous annonce alors qu'à chacun de ses concerts, il aime jouer un morceau qu'il ne connaît pas encore, auquel il donne toujours le même nom : Die Feier des Augenblicks, ou « la célébration de l'instant ». C'est une improvisation sans thème. Dois-je préciser que c'était incroyable ? Après la caisse comme ensemble de percussions, voilà qu'il utilise les clés pour jouer en réaccordant sa guitare.

Un « dernier » morceau. Applaudissements à tout rompre. Premier rappel : impro sur un thème de Bill Evans, Very Early.

Second rappel : un morceau qu'il nous dit toujours jouer en second rappel, avec pour titre quelque chose comme Until the End of the Night. Une belle mélodie aux tonalités changeantes, lentement décroissantes, jouée sur les cordes aigües... et quand il ne peut plus jouer plus bas, il tourne les clés, et les tonalités continuent de descendre dans une succession de dissonances et de tons justes. Et ça descend, descend... Quand il s'arrête, la guitare est complètement désaccordée. On n'ose pas faire de troisième rappel.