Enfin ! vous vous dites.

Enfin, non, vous ne vous le dites pas encore.

Dire quoi ?

« Enfin ! Il reparle de son appartement ! »

Ça y est, vous vous le dites ! Enfin.

Oui, je sais que vous n'attendiez que ça. Un autre de ces billets passionnants qui sentent la poussière. Pas n'importe quelle poussière ! La vieille poussière, la poussière historique, la poussière chiante.

C'est effectivement ici un nouvel épisode de notre saga… Je n'ose pas dire de notre passionnante saga…

Travaux et Histoire

Tolosa, an 250 après Djizeus. L'Empire romain, dont la ville est une majestueuse colonie, n'en a plus pour très longtemps. Sommé par les prêtres païens de sacrifier un taureau pour Jupiter, Saturnin, voyageur évangéliste, refuse de s'exécuter et sera (donc) exécuté, traîné par ledit taureau. Les Toulousains qui ne connaissent pas l'histoire en ont pourtant tous les éléments sous les yeux : le taureau fuit par le nord et dépose Saturnin à l'emplacement de ce qui est l'actuelle église Notre-Dame du Taur (taureau, quoi), rue du même nom (quoiqu'à l'époque, ce fût sans doute un chemin champêtre). Ainsi fut le martyr de celui qui deviendrait mieux connu sous le nom de Saint-Sernin, premier évêque de Toulouse et vous aurez, Toulousains, reconnu le nom de la basilique qui serait construite plus tard au bout de cette rue du Taur pour recueillir les reliques du saint. C'est pas beau, la toponymie ?

An 410 environ, berges de la Garonne. Rive droite, cœur de la cité. Il s'y dresse un temple païen, sanctuaire primitif de forme décagonale. À cette époque, l'Empire romain finit de s'écrouler sous les assauts germaniques. L'empereur Honorius donne l'Aquitaine aux Wisigoths pour les faire jarter de Rome. Là, toutes mes sources ne concordent pas sur la manière mais le fait est que le temple décagonal revient aux Chrétiens. (« Donné par Honorius, » entend-on çà et là, mais un empereur romain se soucie-t-il d'un petit sanctuaire d'une colonie éloignée ? Douteux. Supposons plutôt que les Wisigoths, qui envahirent Toulouse en 418 pour en faire la capitale de leur royaume, utilisèrent ce bâtiment pour leur culte sans rien demander à personne. Supposons aussi que plus grand monde n'adorait les dieux païens et que la reconversion chrétienne du lieu put se faire naturellement.) C'est un temple orné de dorures. D'où le nom de Dorade puis, par transmission orale, Daurade, qui donnera son nom à l'église et au quartier.

La Daurade deviendra un lieu très important de Toulouse. Le quartier, à la limite nord de la ville romaine, est en revanche en plein centre par rapport aux remparts de la ville médiévale. C'est de la Daurade que partira, en 1130, un pont permettant de traverser gratuitement la Garonne. Mais la place que nous connaissons aujourd'hui n'existe pas, pas plus que les hauts quais ombragés. C'est encore une berge en pente qui plonge dans le fleuve.

XVIIe siècle. Le pont de la Daurade est en piteux état. Pour le remplacer, on construit le pont Neuf, aujourd'hui un des symboles de la ville (c'est à la même époque qu'on construira, quelques décennies plus tard, le canal du Midi, autre symbole incontournable de Toulouse).

La Daurade perd son pont mais Toulouse grandit et se dote de divers plans d'urbanisme. L'un d'eux veut faire de la Daurade une place aérée entourée d'alignements de façades à la façon de la place du Capitole, ces alignements se poursuivant sur des quais flambant neufs de part et d'autre de la place. La Révolution laissera tout juste le temps d'achever les quais, pas les immeubles[1]. La place adopte alors l'apparence qu'on lui connaît aujourd'hui.

De façon assez stupéfiante, le bâtiment romain de notre temple converti en église subsistera jusqu'en 1761, conservant tout ce temps sa fonction. Devenu instable suite au remplacement de sa coupole, il sera détruit et remplacé par une église, l'actuelle Notre-Dame de la Daurade.

C'est à l'époque de ces remaniements du quartier, ou un peu avant, bref, c'est au courant du XVIIIe siècle que sont construits, entre la rue Boyer-Fonfrède (anciennement de la Vache) et la nouvelle rue de la Daurade, deux immeubles séparés par un petit puits de lumière où grimpe un escalier. (Dont un Toulousain Yvelinois d'origine rachètera un petit appartement trois siècles plus tard.) Et c'est très probablement à cette époque qu'est reconstruit tout l'îlot entre les deux rues.

C'est là qu'il faut se rappeler que la Daurade était une berge en pente. Lors de la construction des quais, hauts de plusieurs étages, le niveau du sol monte considérablement. C'est donc sur le rez-de-chaussée des constructions précédentes, devenu cave, que se construisent les nouveaux immeubles. Vous vous rappelez peut-être que dans un billet précédent, j'ai mentionné la présence dans ma cave d'un départ de voûte antérieur à la construction actuelle. C'est ça : le rez-de-chaussée précédent.

Ce soir, à l'assemblée de copropriété de l'immeuble, j'ai un peu discuté de cela avec un vénérable voisin qui m'a révélé la présence sous la cave actuelle d'un autre niveau voûté : la cave précédente, un niveau plus bas — logique puisque le sol a grimpé d'un niveau. Il m'a aussi indiqué ce que je cherchais depuis longtemps : une date de construction pour l'immeuble, 1706. Je dis « une » et non « la » car mes recherches situaient plutôt le remaniement du quartier vers la fin du XVIIIe siècle. Il est toujours possible que l'immeuble soit antérieur à cela mais il reste alors à expliquer pourquoi il est construit dans un alignement de rue qui est, me semble-t-il, apparu plus tard. Bref, vous ne suivez plus. Celui qui dit qu'il suit ment. Je ne développerai donc pas. Ça suffit.

Ce même voisin a eu la gentillesse de me promettre de chercher dans ses archives des plans de l'immeuble qu'il pense posséder (afin que je sache ce qui se cache dans l'espace entre une cloison non identifiée et le mur mitoyen… mystère dont je parlerai une autre fois).

Et les travaux, dans tout ça ? Je décolle du papier peint depuis des semaines. Un grand merci à Laurent et Aude qui m'ont prêté leur bidule à vapeur qui, s'il n'est pas la solution miracle, me permet quand même de travailler deux fois plus vite et deux fois plus proprement (c'est-à-dire sans bousiller le plâtre ; mais j'en ai bousillé avant cela ! Faut bien apprendre… donc essayer et se planter).

Et il y a ce mystère. Ce volume d'usage inconnu entre une cloison et un mur. En bas de la cloison, une espèce de trappe bouchée. A hatch.

La suite… à un autre épisode de votre saga Travaux et Histoire !


Sources (et j'en oublie) :

Notes

[1] Sauf deux d'entre eux visibles aujourd'hui depuis la place entre les rues Boyer-Fonfrède et de la Daurade.