Ça fait quelque temps qu'une théorie me germe dans la tête.

C'est sans doute le fruit du hasard, hein, je me fais des idées.

Mais elle se vérifie trop bien.

En voici l'énoncé :

La qualité de la conduite automobile est fonction du jour et cette fonction est sensiblement la même pour tous les automobilistes.

En d'autres termes, quand les automobilistes sont cons, on dirait qu'ils ont tous décidé de l'être ensemble le même jour. C'est en tout cas le point de vue du piéton qui soit manque de se faire écraser trois fois dans la même journée, soit s'étonne trois fois de la courtois… connaissance du code de la route des conducteurs qui s'arrêtent pour le laisser traverser.

Oui ! Car il convient ici de rappeler… Attendez, j'appelle plutôt maître Morissard. Allez-y, Maître.

Oui, tout-à-fait, merci, en effet… La Loi, c'est Moi, en conséquence de quoi, nonobstant votre respect, vos gueules et écoutez, bande de punks.

Je vous présente maître Morissard. Habile artifice stylistique en costard consistant à laisser la parole à une tierce personne semblant habilitée à éructer un message officiel, me laissant ainsi le beau rôle et toute lattitude pour débiter des conneries. Allez-y, maître Morissard.

Oui, donc, en vertu du rôle qui est le mien et du salaire que me verse rat'vaak, je vais procéder à la lecture d'un article fort méconnu du Code de la route.

Non parce qu'en fait, c'est pas vraiment Morissard, il existe pas Morissard. C'est moi qui écris. C'est bien fait, hein ? Tout ça grâce à l'internet, quelle époque ! Pardon. Allez-y, Maître.

Oui. J…

Non, je précise que Morissard c'est moi car je trouve que je fais ça vraiment bien et je serais peiné que vous vous y laissassiez prendre. Pardon Maître. Allez-y.

Je plaisante, allez-y, tout le monde attend.

Merci. Oyez… Article R415-11 ! Je cite : Tout conducteur est tenu de céder le passage aux piétons régulièrement engagés dans la traversée d'une chaussée.

C'est hallucinant, Maître.

Non Monsieur, c'est la Loi.

C'est pourtant vrai… Vous êtes un puits de science, Morissard. Dites-en plus !

Amende de quatrième classe — cent-trente-cinq euros — pouvant être accompagnée de trois ans de suspens…

Ah mais nan, Morissard, ça, c'est pas bon du tout, vous êtes vraiment une merde en psychologie, excusez-moi de vous le dire. Action-réaction, poussez l'automobiliste et il exercera sur vous une force de même direction mais de sens opposé — sauf que lui, il a une voiture. Adressez-vous plutôt à lui en ces termes choisis : Ô Tomobiliste, Majestueux Aigle de la Route, Toi Qui vas vite, Toi Qui es pressé, Toi Dont le véhicule coûte cher, désires-Tu vraiment avoir à refaire une carrosserie cabossée par mes os et souillée par mon sang ? Quel temps perdu ! Quel argent jeté en l'air ! Tout ça pour un péquenot de piéton : ça n'en vaut pas la peine. Le tribunal, la condamnation ? Du temps et de l'argent ! Toi Qui veux justement en gagner… Ça n'en vaut pas la peine. Alors, quand un piéton a le pied sur le passage[1], laisse-le passer, Gros Connard de Tomobiliste de mes deux, car ces vils et bas parasites ne pensent qu'à cabosser Ta belle tomobile et les juges corrompus sont avec eux !

Voyez, Morissard, c'est ça, la psychologie.

Je comprends. Et ne mentionnons-nous point le poids de l'homicide sur la conscience ?

La conscience ? N'en ont point, Morissard. N'en ont point.

Notes

[1] ou — article R412-37 — hors passage quand il n'y en a aucun à moins de cinquante mètres