Nul n'ignore (ou bien vous ne l'ignorerez plus dans quelques lignes) qu'à Toulouse, quand on parle du centre-ville sans plus de précisions, on pense presque systématiquement à la place du Capitole. Centre géographique et centre du pouvoir puisque le Capitole, qui est aujourd'hui la mairie, était avant 1789 le siège du conseil des « capitouls », pouvoir républicain démocratique institué dès le douzième siècle. Oui, les Toulousains peuvent s'enorgueillir d'habiter une des plus anciennes républiques démocratiques du monde moderne (voir cet article).

Au sud de la place du Capitole part la pire rue de la ville, la rue Saint-Rome. Il faut, au moins une fois, y être allé un samedi après-midi, juste pour comprendre, puis n'y remettre jamais les pieds, en tout cas pas un week-end. Gigantesque galerie commerciale vestimentaire pour minets gominés et minettes lolitées, elle est envahie dès le samedi matin par un flot inimaginable de la population susmentionnée, puis ses pavés se couvrent au fil de la journée d'une telle couche de prospectus sitôt distribués sitôt jetés qu'il devient par endroits difficile de voir le sol et plus difficile encore de ne pas glisser dessus.

À l'est de la rue Saint-Rome, tout en restant dans les ruelles médiévales, on tombe dans un quartier plus bourgeois : décoration, ameublement, maroquinerie… Mais c'est un peu le bourgeois de nos grand-mères, pas vraiment intimidant, avec quelques magasins comme on penserait n'en plus trouver : mercerie, jouets, peluches… En revanche, en poursuivant à l'est vers la place Saint-Georges puis au sud vers Saint-Étienne et Ozenne, on tombe dans de superbes quartiers où je n'arrive pas à me sentir à l'aise entre les bijouteries, la haute-couture et les gens qui ont tous l'air sérieusement coincé du cul.

Remontons donc où nous étions un peu plus tôt, prenons la rue Peyras et préparons-nous à traverser la rue Saint-Rome d'est en ouest, en direction de la Garonne. Constatons d'abord qu'ici déjà commence un petit monde différent : pas de magasins de luxe ; pas de gominés à sunglasses égarés. C'est une ruelle médiévale sombre et encaissée. Le sentiment dominant est une impression de vieux. Mais un vieux habité, comme les poissons peuplent les squelettes morts des récifs coraliens. J'ai à ma gauche un magasin de matériel pour DJ. Je poursuis dans la densité continue des maisons qui tombent vers la rue, briques ou pans de bois.

Je traverse tant bien que mal le courant piéton de la rue Saint-Rome, sol parsemé de publicités pour vêtements, discothèques et concerts. Des employés municipaux vident une poubelle qui régurgite sa paperasse.

Le tourbillon derrière nous, nous voilà dans du corail urbain plusieurs fois centenaire avec en son sein des bancs de petits poissons discrets. Friperies, petits magasins de musique ultra-spécialisés, magasin de bombes pour graffeurs, vente de vinyls, BD d'occase… Une forte impression d’underground. Également : restaurants indiens, africains, japonais… Tout cela s'articule autour de la place de la Bourse et de la rue Peyrolières. Entre les deux, le Goethe Institut. Un peu plus loin, face à la Garonne, l'école des Beaux-arts et l'église de la Daurade dont j'ai déjà longuement parlé. (Tout près, donc, mon futur appartement.) Et, en marge, le superbe hôtel d'Assézat.

C'est sur ce quartier ésotérique que je m'arrêterai car c'est lui qui me fascine depuis déjà un petit moment. Coincé entre la très hausmanienne rue de Metz, la très huppée place du Capitole, la commerçante et surchargée rue Saint-Rome et les agréables quais de la Garonne, le quartier de la Bourse et de la Daurade reste un mystère, comme oublié des touristes, des grandes enseignes, même des promeneurs car il n'y a jamais foule dans les rues… Personne, sauf quelques graffeurs, quelques passionnés de jazz, d'autres de BD, des DJ qui cherchent de quoi scratcher, des gens en quête de vêtements vintage de seconde main et des connaisseurs venus à tel resto ou bien voir une expo ou un film à l'institut Goethe. Pourvu que ça dure.

Plan Tavernier de 1631