Bienvenue au Campanile Brussels Airport Zaventem
100% écrit au stylo.
En déplacement professionnel au fin fond d'un trou du cul de zone industrielle, on a le temps d'écrire ce qui nous passe par la tête… Voilà du brut de carnet.
Finalement, cet Avro Jet de Brussels Airlines qui m'intriguait tant le jour du départ préfigurait bien le reste du voyage. Pourquoi l'aile était-elle au-dessus de l'avion ? Pourquoi quatre réacteurs pour un avion plus petit qu'un A319 ? Pourquoi ces réacteurs étaient-ils fixés au devant de l'aile par des pistils étranges au lieu d'être collés en-dessous ?
Oui, ces pourquoi préfiguraient un voyage de pourquoi et l'étrangeté de cet appareil préfigurait un voyage étrange.
Pourquoi la pression à 33 cL ? Pourquoi utilise-t-on encore le talon mécanique pour la carte de paiement ? Pourquoi parle-t-on français à Bruxelles ? Comment savoir quelle langue on parle à 10 km de Bruxelles ? Peut-on le lire sur le visage des gens ? (Non, on ne le peut pas.)
Étrangeté, comme l'hôtel où j'écris ces lignes. Le wi-fi est trop cher et la télé m'emmerde, alors j'écris. Une télé, des meubles récents et de la peinture neuve pour se donner l'illusion du confort. Les bruits des voisins, de l'autoroute, des avions et un oreiller trop dur, et on sait de quoi il retourne. On dirait un motel des seventies mal refait à neuf. Mais les repères architecturaux sont brouillés. C'est plutôt que tout, ici, a cet air anglo-saxon des seventies.
Un voyage étrange comme un Avro Jet. Un hôtel perdu dans une zone morte, entre autoroute et bureaux morts. Étrange comme un Avro Jet, aussi, la halte de train déserte comme un chantier sous le soleil éclatant. En fixant les traverses de chemin de fer en béton, j'ai l'impression persistante et désespérée d'une réalité autre, ni pire ni meilleure. Je revois Le Désert du monde de J.-P. Andrevon. Sans savoir pourquoi.
Bruxelles. Depuis ma chambre miteuse du Campanile Zaventem, je repense à Bruxelles. Puis à ma mission au T. Technical Center qui durera encore trois jours (trois jours ? Ça ne fait pas un siècle qu'il reste trois jours ? Je perds la tête ?). Pourquoi hier (hier ? C'est tout ?) il n'y avait pas de cuisinier au restaurant de l'hôtel ? J'ai mangé le pire croque-monsieur de ma vie. Je vais poser mon carnet et chercher le sommeil.
« You're waiting to pay for the dinner, too ? »
Fort accent français, et puis je l'avais entendue parler français au serveur.
« Oui, et je parle français, aussi.
— Je me méfie, parfois vaut mieux parler anglais, ici.
— Ça. »
En fait, j'en sais rien. On me l'a dit mais je l'ai jamais constaté. La dame est sympathique, la cinquantaine, cheveux grisonnants. Elle m'était déjà sympathique, pendant le dîner, sachant être polie mais ferme, non sans sourire, avec un serveur en-dessous de tout. Au bar, un client anglophone dépité fait la preuve par a plus b qu'on lui a facturé deux fois trop.
« Vous aussi, c'est le boulot qui vous envoie ici ? »
Sourire de quelqu'un à qui on ne la fait pas ; regard scrutateur.
« Oui…
— C'est pratique, c'est juste en face. Sans indiscrétion, vous travaillez où ?
— Mon entreprise m'a envoyé chez T., à Zaventem.
— Ah. Je suis chez …, de l'autre côté de la rue. C'est pour ça que c'est bien ici. »
L'attente s'éternise. Je relance la discussion.
« Vous n'avez pas un avion à prendre, au moins ? (Je regarde l'écran de télé au-dessus du bar, qui affiche les prochains départs.)
— Oh non, j'aurais déjà gueulé. »
Je ne la voyais pas utiliser ce mot. Mais elle l'a fait avec force et classe.
Enfin, on s'occupe de moi. Encore cinq minutes pour faire enregistrer une bière et des côtes d'agneau (dégueulasses) avec la chambre. Le garçon me demande trois fois ce que j'ai mangé, mon numéro de table (qu'est-ce que j'en sais ? « Celle à droite de la plante, là. — Hein ? Où ? — … »), le numéro de ma chambre, et scrute longuement la carte pour trouver les prix.
« Voilà, Monsieur, ça y est.
— Merci.
— Vous ne demandez pas à signer ? me demande la dame.
— Oh, je vérifierai tout en partant.
— Bon courage.
— Bon courage à vous. (Je désigne le garçon et la caisse d'un mouvement de tête.) Bonne soirée. »
Hôtel de merde, restaurant de merde. Et pourtant. Plusieurs façon de voir les choses.
Vingt minutes pour avoir la carte. Vingt minutes pour passer commande. Le temps de voir des clients se faire insulter.
Quel souvenir de merde.
Non… Quel souvenir !
Quand on passe quatre nuits au Campanile Brussels Airport de Zaventem, on ne fait plus vraiment partie du monde. On est comme tributaire d'une petite vie toute neuve de quatre jours. On ne veut pas la gâcher. On ne veut pas s'énerver. On ne peut plus qu'observer, fasciné, ce monde nouveau où tout va de travers. C'est la fascination de l'écran de télé. La fascination du documentaire. Le lion qui bouffe la gazelle en VHF. Bienvenue au Campanile Brussels Airport Zaventem.
J'ai pas envie de trop écrire. J'ai peur de la quantité. J'en ai encore à raconter mais le sens de la phrase n'est pas dans ce qu'elle raconte. N'est-il pas que dans le style ?
Autant regarder la télé.
« Bonsoir.
— Gruprutxlu.
— Euh… Is it possible to have a table outside for dinner ?
— Je vais parler français parce que j'ai entendu que vous parliez français… »
…
« Bonsoir.
— Goudènabent.
— Err… Is it possible to have a table for dinner ?
— C'est possible, oui. »
…
C'est n'importe quoi. Je viens d'acheter un billet de train en montrant le nom de l'arrêt sur un papier. J'ai pas osé parler français. Juste « merci ».
Louvain. Jolie ville. Toujours aussi, l'impression d’être ailleurs. (Ça tombe bien, j'y suis.) D'être dans un décor. Je comprends, maintenant, pour Le Désert du monde d'Andrevon. Je pourrais aussi mentionner Les Murailles de Samaris du grand Schuiten. Un décor. Ou un scénario de jeu de rôle. eXistenZ. Franchement, pourquoi pas. Schuiten, tiens, puisqu'on en parle, je comprends mieux son œuvre depuis que j'ai vu Bruxelles. Et parce que j'avais lu Schuiten et Peeters, j'ai sans doute mieux compris Bruxelles.
Retour en Avro Jet. La bizarrerie jusqu'au bout, Bruxelles jusqu'à Toulouse. Pourquoi les Airbus ont les ailes en-dessous ?
Grève des bus. Mes yeux se ferment. Rentrer. Rentrer. Rentrer.
Je suis con, je suis en déplacement professionnel, je peux prendre le taxi. J'attends le bus, quand même. Trop de taxi, cette semaine.
Épilogue
C'est pas franchement passionnant, tout ça.
Et j'ai fini par rentrer en taxi.
22 juin 2007
Commentaires
J'aime toujours autant lire tes textes "écris à la main".
Merci.
22 juin 2007
en transposant je te vois bien en vieux cowboy blasé dans un décor de Deadlands (oui j'ai revu "Mort ou vif" la semaine dernière, ce chef d'oeuvre...)ting, ting, ting, le bruit de tes pas, scouic scouic, le bruit des battants de portes du saloon... "une bière et des côtes d'agneau!"... gnik, tu t'asseois surune chaise grincante, à une table à côté d'une plante... bref, t'es out of time, mon bibi, c'est pour ça que je t'adore!
22 juin 2007
un conseille, change de boulot !
22 juin 2007
Merci, grâce à ton blog, j'ai voyagé 5 minutes dans un pays exotique et magique, merci.
La photo de la gare donne cette étrange impression, entre l'envie de se tirer une balle, et le plaisir de se dire "je ne suis ici que pour une durée très déterminée, autant en profiter pour me repasser en boucle toutes ces BD fantastiques et ces films d'anticipation qui se passent dans ce genre de décor"
22 juin 2007
tss tss tss
Je me permets de rectifier un peu l'article
zaventem n'est pas bruxelles, c'est un no man's land dédié à l'aéroport en banlieue et je trouve bizarre de tomber sur des connards qui se la jouent "je te répond en flamand quand tu parles français et français quand tu parles anglais."
En général les belges sont on ne peut plus coulant (à part quelques vieux cons de flamand qui tiennent mordicus à leur langue pourrie) et toujours prêt à aider quand on leur parle.
Bref, faut que tu repasses dans le centre et je me chargerais personnellement de te faire voir le "vrai" bruxelles ;)
01 juillet 2007
lol
Je ne sais pas ce qui m'a fait le plus rire, le billet, ou le commentaire du dessus ?
Sacré humour belge...
05 août 2007
« Pourquoi quatre réacteurs pour un avion plus petit qu'un A319 ? »
Au moment de la conception de l'Avro RJ par British Aerospace, aucun constructeur de réacteurs ne proposait de réacteur ayant une puissance adaptée à un avion de cette taille, dans une configuration bi-réacteur. Donc ils ont choisis une configuration avec 4 petits réacteurs.
Et puis quelque part, c'est pas idiot : avec 4 réacteurs, l'avion peut perdre 2 moteurs et continuer à voler. Ca aurait pu éviter un accident tel que l'amerrissage de l'A320 sur l'Hudson River, qui à perdu ses 2 réacteurs au décollage (saleté d'oiseaux).
« Pourquoi l'aile était-elle au-dessus de l'avion ? »
Je sais pas, mais c'était assez courant dans les avions de conception soviétique aussi. Et puis ça permet aux passagers assis au niveau de l'aile d'avoir une meilleure vue.
« Pourquoi la pression à 33 cL ? »
Euh, pourquoi pas ? (en Belgique, d'habitude tu peux demander la taille : 25cl, 33cl ou 50cl).
« Pourquoi utilise-t-on encore le talon mécanique pour la carte de paiement ? »
Parce que VISA & Mastercard facturent des frais non négligeables. Aussi les Belges ont lancé leur propre système de paiement par carte, bien moins cher (Bancontact). Du coup, beaucoup de magasins n'ont pas de terminal compatible VISA, mais un terminal Bancontact, et soit refusent VISA & Mastercard, soit ressortent les moyens antiques.
« Pourquoi parle-t-on français à Bruxelles ? »
C'est un débat que je te déconseille d'éviter de lancer en Belgique. (bon, la réponse officielle, c'est : à cause de l'émigration de francophones au 19ième siècles pour la "construction" des instiutions nationnales après l'indépendance et le choix de Bruxelles comme capitale, parce qu'au 19ième siècle le Français était la seule langue officielle de Belgique et aussi celle de la bourgeoisie, parce qu'au 20ième siècle les émigrés italiens ou portugais ont préféré apprendre la langue latine du pays plutôt que la langue germanique).
« Je me méfie, parfois vaut mieux parler anglais, ici. »
Ah, la Flandre... Bon, dans un hôtel internationnal, surtout à côté de l'aéroport, ça va, t'aura aucun problème. Si tu dis que tu viens du sud de la France, beaucoup de flamands apprendront instantanément le Français (pour l'oublier aussi vite dès qu'un belge francophone s'approchera). Au centre de Bruxelles, officiellement bilingue, aucun problème non plus. A Louvain ('Leuven'), en Flandre par contre... Mais attention, Louvain-la-Neuve (oui, c'est 2 villes différentes a moins de 10 km de Zaventem), c'est une ville artificielle francophone (et qui vaux le détour dans le genre bizarre, celle où tu as été ? l'autre je ne la connais guère).
14 mars 2010
Merci pour ces précisions. Même si la plupart de ces questions relevaient plus de la rhétorique, une façon de dire que les choses ne sont pas les mêmes quand on change d'horizon, tes réponses sont instructives !
En fait, pour l'Avro, il me semble que ça lui permet aussi de décoller et d'atterrir avec une incidence plus forte que les autres avions, ce qui réduit les nuisances sonores (l'avion reste haut plus longtemps), facilite les approches en montagne, etc.
Sinon, je suis allé à Leuven, pas à Louvain-la-Neuve. Mais j'ai lu l'article Wikipédia, du coup, et je veux bien croire qu'une histoire pareille donne une ville étrange.
31 mars 2010
Merci pour ce petit chef-d'oeuvre de qu'est-ce-que-je-fous-là-itude. J'ai passé huit ans comme dircom d'une boîte industrielle avec des salons partout en Europe dix fois par an, je trouve qu'on finit presque par prendre du plaisir avec les chaînes télé locales en basse def en finnois ancien, ou TV5 qui repasse Motus, les serveuses sous-payées et boutonneuses, désagréables et qui regardent ta Visa comme si tu l'avais fabriquée toi-même avec tes excréments, parce qu'en Mandchourie inférieure ou dans la banlieue de München on paye en poules ou en cash etc. J'ai bien aimé aussi les GPS "Europe" qui affichent brutalement un écran blanc, avec un point vert au milieu, c'est toi, parce que t'a pas chargé la carte des Pays-Bas, les couples illégitimes qui baisent comme des phacochères dans la chambre à côté dans l'Ibis Birmingham en hurlant des répliques de pornos slovaques des années 60, et soudain, au milieu de tout ça, un stagiaire français du groupe Accor venu là apprendre l'anglais qui s'accroche à ta table et te regarde avec des yeux humides dignes des chatons dans les mangas parce que putain parler sa langue trois minutes ça va lui donner le courage de pas se faire sauter le caisson tout de suite, vu qu'il loge dans un trois mètres carrés côté poubelles et que sa manager qui pue la sueur vient encore de lui pourrir la tête en public parce qu'il n'a pas respecté le protocole affiché en cuisine pour le nettoyage du bar (fiche 27, produit bleu). Merci donc !
16 juin 2010
Merci à toi pour ce témoignage largement à la hauteur de ce qu'il commente.
(Et désolé pour la publication retardée, le filtre anti-spam avait repéré le mot cash…)
16 juin 2010
Et dès lundi prochain, je serai pour deux nuits dans un hôtel à deux pas de celui-ci. En espérant avoir une meilleure expérience...
25 août 2011
26 août 2011
Je vais continuer de lire les 2 que je t'ai emprunté, comme ça je pourrais peut-être te les rendre si on se voit à Reims dans quelques semaines.
26 août 2011