Je lisais Vian — qui est, si je ne l'ai pas déjà dit, un de mes auteurs préférés, et quand bien même, qu'importe, je me répète — quand…

Quand quoi ? Non, c'est faux, je ne lisais pas Vian à ce moment-là, quoiqu'il fût effectivement un de mes auteurs préférés. (C'est amusant : j'aurais aussi bien pu continuer, qu'importe ce genre de vérité si on la trafique ?)

Donc (ah, voilà la vérité, enfin je le prétends), je ne sais plus très bien ce que je faisais (la vérité crue, c'est quand même moins savoureux) quand me revint à l'esprit ce site dont on m'avait parlé. Évidemment, le nom n'était resté qu'un temps imprimé sur ma rétine avant de glisser entre mes hémisphères cérébraux pour tomber au haut du cou, coincé entre la nuque et l'œsophage, là où il faut farfouiller pendant des heures sans même être sûr qu'on arrivera à exhumer le souvenir recherché.

Alors « écrire à des personnalités disparues » fut ma requête désespérée et en quelques clics, Dialogus apparut.

Incongru, oui, ça l'est. Peut-on écrire à Voltaire, à la Comtesse de Ségur, à Charles Trenet, à Jules César, à Bouddha, à Rantanplan, à Adolf Hitler, à Hélène de Troie, à Napoléon, au lieutenant Columbo, à Socrate… ? Oui, on peut toujours essayer. C'est obtenir une réponse qui s'annonce difficile.

Dialogus s'est donné pour objectif délirant, admirable, incroyable de fournir ces réponses. Derrière des centaines de noms célèbres se cachent des centaines d'anonymes bénévoles assez fous et assez doués pour se mettre dans la peau d'écrivains, de rois, d'empereurs, de dictateurs, de scientifiques et autres célébrités historiques afin de répondre au courrier des internautes rêveurs que nous sommes.

Le courrier envoyé, évidemment, se doit d'être respectueux et d'un certain intérêt. Ces maigres conditions réunies, apparaît sous nos yeux une correspondance improbable. N'est-elle pas bluffante, cette réponse de François Mitterand ? Et Rimbaud, à Y.H. lui demandant pourquoi il a cessé d'écrire : La vraie vie est ailleurs… Ça fout même un petit pincement au cœur, à la longue, de lire tout ça, comme on pourrait feuilleter un paquet de courrier ancien retrouvé dans l'épave d'un avion postal.

C'est un jeu, un énorme jeu historique tout ce qu'il y a de plus sérieux, comme tous les jeux. Et la magie de l'illusion opère. Correspondances amusées et sincères entre fans et leurs idoles disparues. Qu'importe ce genre de vérité si on la trafique ? Les gens célèbres ne s'appartiennent plus ; leur nom a glissé hors d'eux-mêmes pour s'imprimer sur une image, une couverture, une biographie, choses reproductibles. Tant mieux.

Alors oui, Boris Vian m'a répondu. Mais mon courrier ne vous regarde pas.