Un insecte géant aux mandibules acérées et qui sait juste dire « diantre », un joueur de base-ball fait de morceaux de cadavres recousus ensemble, un match mémorable au-dessus de quelques bourbiers sans fond, la ville de Hole toujours aussi crasseuse et toujours les mages et leur monde grotesque, Caïman et sa tête amnésique de caïman punk, Nikaido et ses raviolis frits…

Mais oui ! Le tome 4 de Dorohedoro est sorti !

Couverture du tome 4 de Dorohedoro

Dorohedoro, de Q-Hayashida, est un manga que vous n'avez probablement jamais feuilleté et dont vous n'avez probablement même jamais lu ni entendu le titre. C'est un manga dont la publication en France a lieu au compte-gouttes tellement le titre se vend mal et est donc peu rentable. Deux ans d'attente pour ce tome, par exemple. Mais l'éditeur Soleil Manga s'y est engagé auprès de ses lecteurs : Dorohedoro sera terminée. Nous le ferons pour les fans et parce que nous aimons ce titre.[1] Cochon qui s'en dédit.

Car ils ne sont pas les seuls à aimer ce titre ! C'est même parmi ce que j'ai pu lire de mieux en bande dessinée, et j'en ai lu. Le truc, c'est que Dorohedoro est un ovni total. Pas juste une petite soucoupe volante, non, plutôt l'amas globuleux de Yog-Sothoth, ou quelque chose comme ça. Décrire un ovni, passe encore. Le problème serait plutôt de rester crédible. Je vais faire de mon mieux.

Caïman, personnage principal de Dorohedoro

Une comédie punk noire, délirante et grotesque

L'ouverture du premier tome donne le ton. Un homme à tête de lézard tient la tête d'un pauvre type dans sa gueule. Sa victime horrifiée aperçoit au fond de sa gorge un autre homme qui lui dit : « Non, ce n'est pas toi. »

L'homme-lézard, c'est Caïman. Son visage était humain, autrefois, mais un mage lui a donné cette apparence. Caïman a tout oublié des circonstances de sa transformation et de sa vie antérieure. Il recherche un peu tout ça — surtout l'enfoiré qui lui a fait ça — sans trop se prendre la tête. Il est pote avec Nikaido, une jeune femme plutôt énergique qui prépare, selon les dires de Caïman, les meilleurs gyozas (raviolis frits) de la ville. La ville, c'est Hole, une métropole grise, crade, aux habitants dévastés par les assauts des mages. Les mages ont ceci en commun qu'ils aiment porter un masque délirant (et/ou effrayant), qu'ils ont des pouvoirs, qu'il vivent dans leur propre monde mais peuvent apparaître dans celui des humains en créant des portes, et qu'ils en veulent tout particulièrement aux habitants de Hole. Ainsi, ils aiment leur faire subir des transformations souvent fatales. Le monde des mages est une espèce de parodie grotesque et gentille des enfers. Oh, rien de très invivable pour un mage, mais il s'y promène des types cornus aux sabots de bouc et on y trouve des WC crématoires. Quant à la gastronomie, elle y est pour le moins particulière. Le monde des mages est en outre très mafieux. Et assez tendancieux.

Caïman, personnage principal de Dorohedoro

Voilà le cadre, si on peut appeler ça un cadre. Le ton oscille en permanence entre le grave, l'absurde et le complètement débile. Paradoxalement, tout ça s'imbrique et se renforce et il ressort de la lecture de Dorohedoro l'impression d'un univers cohérent. L'auteur, Q-Hayashida, parvient en quelques vignettes et en quelques répliques à rendre des personnalités terriblement marquées, avec tout le talent qu'il faut pour rester à distance raisonnable du stéréotype (saluons au passage la grande qualité du texte de l'édition française). Il n'y a pas de gentils ni de méchants parce que dans le fond, on s'en fout, tout ça ressemble plutôt à une énorme mascarade où le hasard a distribué les rôles et où chacun s'est pris au jeu sans trop se prendre au sérieux. Classe.

Il faut souligner ici l'humour. Dorohedoro est une immense sale blague qui fait beaucoup rire. Humour noir ou absurde, le fait est qu'on sourit beaucoup et qu'on rit même un peu.

Difficile aussi de ne pas mentionner le dessin. Le style est trash tout en restant très lisible. Les personnages sont parfaitement identifiables, les ambiances marquées, le rythme très fluide. Chaque tome nous gratifie en outre de quelques belles pages en couleurs. (En revanche, dans les deux premiers tomes, les dessins au trait apparaissent imprimés en nuances de gris, ce qui les rend flous. Erreur corrigée dans les tomes suivants.)

Personnage de Dorohedoro

Attention cependant. Je l'ai dit : c'est un ovni. La violence est peut-être dédramatisée, mais elle est là et très graphique (on pense à Tarantino). C'est peut-être une histoire où beaucoup de types se tapent dessus, mais on n'y retrouve pas les codes du shônen. Pour les connaisseurs, Dorohedoro se situe plutôt dans la veine de Number Five ou Blame. Si ça ne vous fait pas peur, ruez-vous sur cette œuvre unique : Dorohedoro, c'est du no future qu'on aimerait promis à un bel avenir.

Couverture du tome 1 de Dorohedoro Couverture du tome 2 de Dorohedoro Couverture du tome 3 de Dorohedoro

(Cliquez sur une couverture pour l'agrandir.)


Images © Q. Hayashida et © MC Productions.

Notes

[1] D'après le forum internet de l'éditeur.