Depuis que j'ai l'âge de ne plus régurgiter ma bouillie dessus en les lisant, j'adore les plans et cartes topographiques. Pouvoir extraire du symbolisme ésotérique d'un vieux papier jauni les aspects cachés ou inaccessibles des lieux, les réseaux gravés sur la planète, j'ai toujours trouvé ça totalement magique. Je me souviens même m'être amusé, gamin, à dessiner des cartes extrêmement précises de lieux imaginaires, avec légende, courbes de niveaux... Aussi, des cartes de réseaux routiers hypertrophiés aux échangeurs délirants.

Une carte raconte une histoire dans un mode différent ; non chronologique mais spatial ; non linéaire mais selon un ordre indéterminé à l'avance. Mais comme un texte, une carte laisse une immense part à l'imagination : pourquoi telle route s'arrête-t-elle en cul de sac au milieu de nulle part ? À quel lieu caché mène-t-elle ? À quoi ressemble cette vallée encaissée où se rejoignent deux rivières ? Cette minuscule rue qui serpente à côté des remparts est-elle sombre et sale ? Ou animée et commerçante ? Ces deux ruines de châteaux forts sont-elles reliées par un tunnel ? À quoi ressemble ce point que la légende désigne comme un monolithe ? Ces carrés délimités par des rues à angle droit sont-ils un modèle historique d'architecture urbaine ? Une banlieue fade ? Un quartier ultra-moderne ? La moindre carte raconte et permet de raconter. Et je ne parle pas de sa valeur en tant qu'information brute, ni de son utilité pratique, tant c'est une évidence. Une carte permet d'embrasser d'un coup d'œil ce qu'il faudrait autrement des heures de lecture pour saisir très approximativement.

Tout ça pour dire que j'ai découvert le projet OpenStreetMap (OSM) avec le plus grand enthousiasme ! C'est un de ces projets libres, ouverts, contributifs, bénévoles et bien intentionnés, fous comme Wikipédia peut l'être et dont on se dit que forcément, à force d'amateurisme et de vandalisme, ça ne peut pas marcher. Sauf que ça marche. Wikipédia construit une encyclopédie, OpenStreetMap construit un atlas. Une carte topographique planétaire qui, à terme, doit inclure la moindre ruelle, le moindre sens unique, la plus anecdotique boîte aux lettres et, rêvons, l'ensemble des commerces, équipements, bâtiments publics, monuments, etc. À côté du projet principal, il y a déjà des sous-projets de cartes cyclistes, cartes de randonnée... Le tout repose sur des outils faciles d'utilisation qui permettent à n'importe qui d'apporter ses modifications.

L'intérêt par rapport à Google Maps, Mappy, Yahoo! Maps, Géoportail, etc. ? Les données produites sont placées sous une licence libre. En somme, elles appartiennent à tout le monde et à personne. Tous les pays ont déjà, me direz-vous, des organismes publics chargés de cartographier le territoire (IGN en France, USGS aux États-Unis...). Il n'empêche que les données produites ne sont pas toujours d'accès libre, et sont souvent soumises aux droits d'auteur (il m'est interdit de reproduire une carte ou un fragment de carte IGN sur ce blog, alors que ces cartes sont une propriété publique de la France, allez comprendre). Par ailleurs, il n'existe pas de format de données commun à toutes ces cartographies publiques, ni de base de données cartographique mondiale et publique (les bases de données existant à l'échelle internationale appartiennent à des sociétés comme TeleAtlas ou NavTeq). De son côté, OpenStreetMap ne fournit pas uniquement des images navigables (à la Google Maps) mais aussi les données cartographiques vectorielles brutes dans un fichier XML. Le projet rend aussi ces données accessibles dynamiquement sur son serveur via un protocole réseau particulier. Enfin, la licence libre et les outils d'édition publics permettent à n'importe qui d'enrichir la carte ou de corriger des erreurs, ce qui est totalement impossible chez Google, Yahoo!, Microsoft et autres.

La bonne nouvelle, c'est que le projet est déjà relativement avancé. Grâce à la mise à disposition sans conditions de leurs bases de données publiques, certains pays (notamment les États-Unis et les Pays-Bas) ont permis d'enrichir grandement la carte de leur territoire. Mais même dans ces pays, il reste beaucoup à faire : corriger les erreurs, conserver la carte à jour, l'enrichir de nouvelles informations... En France, la direction générale des finances publiques a autorisé OpenStreetMaps à utiliser le cadastre pour construire ses cartes. Pour tous les pays, Yahoo! a autorisé l'utilisation de ses photographies aériennes, ce qui permet aux cartographes connaissant déjà un peu les lieux de tracer les routes par-dessus la photo à leur emplacement exact. Il est aussi possible de travailler à partir de pistes enregistrées par un GPS. Dans l'ensemble, le projet en est au stade de Wikipédia il y a cinq ans : prometteur, déjà riche mais encore très incomplet. Certaines régions du globe sont encore totalement vierges. D'autres ne comportent que les routes principales. D'autres enfin (les grandes villes essentiellement) n'ont pas grand chose à envier aux cartes professionnelles, voire comportent plus d'informations et sont plus à jour puisque n'importe qui peut aller modifier la carte dès qu'un sens unique est ajouté en bas de chez lui. Ainsi, à Toulouse, j'ai pu ajouter quelques rues manquantes dans le centre-ville, corriger des sens uniques, des accès restreints, indiquer des commerces, des théâtres... Il y a toutefois une différence majeure entre OSM et Wikipédia : une carte est une représentation objective, factuelle, non discutable de la réalité. Elle est facilement vérifiable et a priori jamais sujet à controverse.

Aujourd'hui, OpenStreetMaps est utilisé par certains journaux qui ont besoin de plans pour illustrer leurs articles ; par des jeux géolocalisés sur téléphone portable (GPS Mission notamment) ; par des logiciels de guidage GPS alternatifs ; par des guides urbains contributifs (logiciels type bons plans près d'ici) ; par des randonneurs, des cyclistes, des automobilistes, des promeneurs, des chercheurs... Le boom des récepteurs GPS dans les appareils mobiles (supportés nativement par les OS iPhone et Android) va sans doute rendre OSM d'une valeur inestimable pour tous les développeurs de logiciels, qu'il s'agisse de réalité augmentée, de guidage interactif, de calcul d'itinéraire, de tourisme, d'immobilier, de logistique... Et même si on n'en parlera pas autant car les données seront souvent cachées derrière une façade applicative, OpenStreepMap aura forcément à l'avenir une importance équivalente à celle de Wikipédia aujourd'hui. Le besoin est trop fort et le projet trop bien parti pour qu'il n'aboutisse pas.


La carte interactive OSM centrée sur mon quartier (toutes les données sont loin d'apparaître sur ce rendu : la base de données comprend beaucoup de commerces, restaurants, équipements publics, etc., non visibles ici) :