Affiche de Gainsbourg, vie héroïqueFilm français de Joann Sfar avec Éric Elmosnino, Kacey Mottet Klein, Lætitia Casta, Lucy Gordon, Philippe Katerine...

Pour son premier film, l'auteur de BD Joann Sfar s'attaque à une gueule de culte, la tête de chou de Serge Gainsbourg. On a connu des premiers longs métrages plus faciles mais on va voir que l'ambition a du bon.

Comment traiter d'un des compositeurs et chanteurs pop les plus influents, les plus novateurs, les plus scandaleux, les plus admirés du XXe siècle ? Comment faire quand cet homme arborait une gueule qui l'obsédait et dont tout le monde se souvient ? Comment aborder, le temps d'un film, ses nombreuses conquêtes (parmi lesquelles Bardot et Birkin), sa discographie dont les succès mis bout à bout dureraient plus que le temps du film, les innombrables anecdotes (souvent scandaleuses) entrées dans la mémoire collective, sans oublier ce qui fait simplement une vie : son enfance, sa famille, ses rencontres ?

Déjà, en ne faisant pas une biographie complète. Certes, le film suit la vie de Gainsbourg : il est une grande fresque qui s'étend de la Seconde guerre aux années 1980. Mais il ne vise ni l'exactitude ni l'exhaustivité. Sfar le décrit comme une fable et cette fable nous rend Gainsbourg, nous en révèle des facettes fragmentaires qui le reconstituent sous des angles multiples et complémentaires, explicatifs, symboliques, comme des moments clés et des idées essentielles. Sfar n'hésite pas à filer la métaphore de la gueule qui se fait voix intérieure et démon de carton-pâte. La musique, les anecdotes ne sont parfois qu'évoqués, entrevus, donnant l'impression de naviguer dans une vie plus ample, plus complexe, plus insaisissable que ce que l'on pourrait croire. Le film a cette humilité-là, de montrer qu'on ne peut pas tout montrer d'un être humain mais de faire son possible pour en extraire l'essence.

Une telle créativité narrative, un tel penchant pour la fantaisie et l'imaginaire ne pouvaient se contenter de réutiliser la musique de Gainsbourg telle quelle. Par ailleurs, les nombreuses scènes de tâtonnements au piano, de chant a capella, nécessitaient évidemment une bande originale. La lourde tâche en a incombé à Olivier Daviaud, l'arrangeur de Dionysos. Le résultat est un tourbillon qui dure le temps du film, faisant tourner les thèmes, les chansons, parfois une bribe, quelques notes connues, parfois une reprise complète ; parfois le calme et parfois une bourrasque qui emporte tout. C'est le pianiste surdoué Gonzales qui prête ses mains à Gainsbourg et les acteurs qui prêtent leurs voix à Juliette Gréco, France Gall, Brigitte Bardot, Jane Birkin, Boris Vian, les Frères Jacques, Fréhel... et évidemment à Serge. (Sans oublier Brassens, interprété par Sfar lui-même !)

Ce qui nous conduit à parler du casting. La première bonne surprise du film est le jeune acteur suisse Kacey Mottet Klein qui, du haut de ses onze ans, offre une interprétation extraordinaire de Gainsbourg enfant, quand il s'appelle encore Lucien Ginsburg. La grande claque du film vient, évidemment, de Gainsbourg adulte, interprété par Éric Elmosnino qui réussit l'impossible. Tout est crédible : la voix, la gueule, l'évolution de Gainsbourg de jeune artiste des années 50 à star géniale, scandaleuse et autodestructrice des années 80. Ayant souvent vu Gainsbourg à la télé étant petit et connaissant assez bien son œuvre (je me souviens avoir été assez attristé par sa mort en 1991), j'ai passé le film à me convaincre que je n'avais pas le vrai Serge Gainsbourg devant les yeux. Les Américains ont une expression pour ça : tour de force. Le reste du casting est d'un niveau égal. Mon a priori négatif sur Lætitia Casta en tant qu'actrice, qui remontait à son rôle dans Les Âmes fortes de Raoul Ruiz, a volé en éclats face à son interprétation de Brigitte Bardot, tant dans le jeu que dans le chant : la version de Comic Strip présente dans le film éclipserait presque l'originale. Malheureusement décédée depuis le tournage, Lucy Gordon est flamboyante en Jane Birkin amoureuse de Gainsbourg mais excédée par ses débordements. Quant à Philippe Katerine, il fait un Boris Vian parfaitement convainquant... hormis la voix, évidemment. Tous ensemble, les acteurs portent le film en même temps qu'ils portent leurs personnages avec justesse et sans jamais risquer la caricature.

Gainsbourg voulait être peintre, initialement, et son œuvre est émaillée de références à la bande dessinée et à la culture populaire qu'il affectionnait. Aussi, comme un retour de balancier, un dessinateur comme Joann Sfar était peut-être le mieux placé pour mélanger les genres et les rôles et se faire réalisateur d'un film sur celui qui mélangeait les influences et les styles. Un film qui stylise tout en subtilité, avec du trait et des nuances. Parfois, le croquis est le meilleur moyen de livrer la vérité. Le croquis cinématographique de Sfar est sans doute bien plus fidèle à Gainsbourg que n'importe quelle biographie.