Dans un récent billet, je parlais du maquillage culturel, l'utilisation de la caution culturelle pour tout faire passer.

Je viens d'en avoir encore un excellent exemple. Je suis tombé par hasard sur l'émission E=M6. J'adorais ce magazine scientifique quand j'étais gosse. Surpris mais content qu'il existe encore, je le regarde.

Cruelle déception : c'est devenu un télé-achat fondé sur les dangers domestiques. Avec, évidemment, la caution culturelle de la marque E=M6.

Ainsi, le premier sujet m'a appris que j'étais en danger de mort si j'osais emporter de la salade composée en pique-nique sans prendre de précautions. À l'appui, l'image de boîtes de Petri montrant l'évolution d'une culture bactérienne obtenue à partir d'une salade piémontaise. Frissons dans les foyers, la gastronomie italienne nous en veut. Mais on ne la lui fait pas, à la ménagère-actrice : elle emporte son pique-nique dans un sac isotherme. La malheureuse ! Elle tient vraiment à crever, la gourdasse ! Elle a pas vu que le sac n'était suffisamment isolant que jusqu'à une température ambiante de 20° C ! Or, nous dit la voix-off, les pique-niques ont généralement lieu à 30° C. (C'est bien connu.)

Solution : la glacière. Mais garde ! Tout comme l'Italie, les fabricants de glacières nous en veulent : parfois, les glacières, c'est de la merde (démonstration avec mesure de la hausse de température du contenu). Il est donc indispensable d'acheter le top du top. Voilà donc notre ménagère prête à aller pique-niquer avec sa glacière de luxe pleine de denrées protégées. Protégées ? La voix-off n'est pas de cet avis et nous fait comprendre que la ménagère est décidément trop conne : elle a rangé les aliments en vrac, et elle a même pas mis de plaque eutectique ! C'est un coup à tomber sous les assauts de la piémontaise, ça, d'aller pique-niquer avec une glacière bordélique et sans eutectiques.

Et notre mère de famille suicidaire de mettre chaque composant élémentaire de son pique-nique dans une boîte en plastique séparée. De disposer ensuite deux plaques eutectiques froides au fond (vous savez, les machins bleus), puis en premier (c'est hyper important) les aliments les plus sensibles à la chaleur, en couches planes et bien rangées, suivis des aliments moins périssables et à nouveau deux plaques eutectiques car on n'est jamais trop prudent : pour peu qu'on ait aussi de la crème anglaise, des saucisses de Francfort, des champignons à la russe, du chorizo espagnol et de l'emmental suisse, l'absence de plaques eutectiques supérieures pourrait recréer les guerres napoléoniennes derrière les buissons.

Notons qu'avec une glacière équipée comme ça, mes grands-parents ramènent des civets de sanglier de Bourgogne en région parisienne sans qu'ils commencent à décongeler. J'imagine qu’E=M6 crierait au meurtre et leur conseillerait de louer un fourgon frigorifique.

Le sujet suivant, quant à lui, expliquait que le meilleur moyen de ne pas manger de merguez trop cuites et donc, évidemment, mortelles, était d'utiliser un barbecue avec couvercle, contrôle de combustion (démonstration à l'appui, Bellemare ne fait pas mieux) et thermomètre.

Oh, je serais mauvaise langue en disant que l'émission n'est pas scientifique. On a quand même appris que :

  • le polystyrène expansé est un excellent isolant thermique car il est fait de bulles d'air qui est un excellent isolant thermique (évidemment, ils ont oublié d'expliquer que c'est parce que la structure solide du polystyrène empêche l'effet de convection, sans quoi on mettrait de l'air à la place du polystyrène, n'est-ce pas ?) ;
  • le liquide contenu dans les plaques eutectiques est constitué à 99% d'eau mélangée à un gel qui ralentit la fusion de la glace (on ne saura pas pourquoi ni comment il la ralentit, ni de quel composant chimique il s'agit) ;
  • le charbon de bois permet d'obtenir des braises rapidement (on aurait aimé qu'ils expliquent comment du bois déjà carbonisé peut à nouveau entrer en combustion) ;
  • les aliments cuits à trop haute température sont dangereux (on ne saura pas pourquoi).

Bref, l'émission n'est pas scientifique pour un sou. Elle est là pour vendre des produits. Et pour cela, elle fait peur.

D'ailleurs, les sciences « dures » n'ont quasiment aucune représentation à la télé. Mais c'est un autre sujet.

Quant à moi, que mes origines obligent à faire confiance à l'Italie et à la piémontaise, je continuerai à mettre mes pique-niques en vrac dans le sac à dos. Et, digne héritier de Néandertal, à faire confiance à mes yeux pour la cuisson des merguez. Bref, à faire des choses dont il est communément admis qu'elles ne tuent personne, sauf à la télé.