Un singe sur les épaules – Vol 0001
Un singe sur les épaules est un récit écrit sous contraintes qui sera publié par épisodes sur ce blog. Ceci est le premier épisode.
Des gravillons et de la poussière sous les doigts. Sous les pieds, le vide.
Et puis encore des gravillons et de la poussière jusqu’à l’horizon où tout, vu d’ici, se réduisait à rien : rochers ocres, containers noirs, maisons claires et la couleur des hommes. Les jambes ballant devant la falaise, Riad se demandait de quoi était fait le bout de son monde, là-bas. Vus d’ici, des taches, des strates, des mouvements de matière sous un ciel voilé.
Accrochée à la falaise, la jetée propulsait son béton vers nulle part. Riad s’y amusait, gamin, il y courait, dérapait, balançait des trucs dans le vide, toujours trop petits. Toujours, ils s’étaient évanouis avant l’impact. Anéantis avant de finir poussière, comme tout ici.
Murmure lointain, une voiture soulevait un nuage de terre sur la piste en bordure de falaise. À son approche, Riad se protégea le visage dans le creux du coude. Dans le grondement du moteur, quelques graviers lui fouettèrent le dos. Le véhicule s’engouffra dans le tunnel, laissant un brouillard rugueux en suspens, odeur de sable et de métal chaud.
Au loin, une navette quittait la terre dans une explosion de fumée.
La dramaturge lui avait dit ça, un jour. Les hommes vont nulle part de plus en plus vite.
La navette n’était plus qu’un grain de ciel. Autour de Riad, le brouillard retombait. La terre attire les choses et les hommes. Il se leva, longea le vide jusqu’à la jetée. Fit quelques mouvements d’étirement.
C’était une structure purement technique. Une belle esplanade de béton brut où de petites dunes rampaient. Le tunnel y naissait et en plongeait, cylindrique, serpentait un peu le long de la falaise pour disparaître de bon dans la muraille. Le chemin le plus court pour traverser la Zone. La jetée, elle, s’élançait vers la plaine, vers le ciel.
Riad posa ses yeux sur l’horizon, inspira, entama son sprint en direction du bord.
La lamelle de béton qui défilait sous ses Nike s’achevait cinq cents mètres au dessus de pas grand chose. Des gravillons et de la poussière, encore.
Le vide comme ligne d’arrivée.
Plongeon.
Nulle part, de plus en plus vite.
Le vent dans les yeux, la paroi qui défile. La secousse.
Le parachute s’ouvre toujours trop tôt.
Riad y pensait déjà, il devait pouvoir gagner encore une demi-seconde de chute libre.
Impact rude, comme la veille, l’avant-veille et les cinq mois passés. Non loin subsistaient quelques débris du vol 9112 comme des os découverts par le vent.
Dans les rues de Londres, John menait la foule, le poing en l’air.
« Le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, le pouvoir au peuple, maintenant ! »
Les Bobbys étaient sur les dents. Une bande de petits bourgeois anarchos qui parlaient de renverser le pouvoir, c’était matraque autorisée. Awesome. Un veinard, celui qui pourrait se faire le leader aux lunettes rondes et ses slogans de gonzesse.
« Un million de travailleurs qui travaillent pour rien, criait John dans le porte-voix. Vous feriez mieux de leur donner ce qui leur appartient vraiment ! Faut qu’on vous descende quand on arrivera en ville. »
La jeune fille qui suivait le leader lui bondit à l’oreille :
« Mais, John, on est déjà en ville, dit-elle.
— C’est une métaphore, ma poule. » Puis il reprit ses déclamations : « Tout ce qu’on dit, c’est donnez une chance à la paix ! »
Un pavé et une grenade lacrymo décrivirent chacun une gracieuse parabole au-dessus de la foule, avec un synchronisme tel qu’on peut affirmer à coup sûr qu’aucun ne fut la cause de l’autre. Et que la paix n’avait pas de chance. Les soucis non plus car insoucieux, les deux camps entrèrent dans la danse. Il y eut des os cassés, des larmes, des cris, du sang, des pleurs, du vomi et des blessés par-ci par-là. Des choses furent cassées çà et là. Des photographes prirent des photos historiques. Ce fut une manifestation très formatée, finalement. Dix mille selon la police, un million selon les manifestants et des cameramen suffisamment bousculés pour créer le frisson at home.
Malgré ses cris à l’aide, le leader fut arrêté — nom, prénom, profession ? — Lennon, John, héros de la classe ouvrière — puis relâché, comme il convient.
Il déclara aux journalistes :
« J’en ai assez de lire des choses écrites par des politiciens à tête de porc, névrotiques, psychotiques ; tout ce que je veux, c’est la vérité. Donnez-moi juste de la vérité. »
La reine pensa bon dieu, en voilà un qui est candide.
10 juin 2010
Commentaires
Un vrai régal de te lire, comme à chacun de tes récits.
Génial. De très belles descriptions. Je ressens le même plaisir à te lire que lorsque je lis Jean Giono: une façon de décrire des détails en utilisant un vocabulaire étranger à la situation. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre ;-) mais quelques exemples: "grain de ciel", "brouillard rugueux".
Et puis de si belles ambiances.
Merci beaucoup
10 juin 2010
haha c'est trop bien !!
je vais m'acheter un Ipad juste pour pouvoir lire ton histoire dans mon lit !
10 juin 2010
Un seul mot, bravo. Super impression à la lecture. Phrases courtes, bon rythme. J'aime ça !
11 juin 2010
Je félicite ta belle initiative d'auto-contrainte assistée, le résultat prouve que ton inspiration manquait juste un peu d'élan ;)
Ton (tes) univers est (sont) très immersifs, bravo !
J'ai particulièrement apprécié ton utilisation de l'image de MoC, qui révèle un sacré sens de l'observation. A l'avenir je contribuerai très surement par une image, moi aussi ^^
14 juin 2010
Content que ça vous plaise ! À jeudi pour la suite...
Mawc, je ne sais pas encore quand (ni si) je renouvellerai l'expérience, mais ton dessin sera le bienvenu. :)
En attendant, pourquoi ne pas faire le contraire, tenter d'illustrer l'histoire ? J'intercalerais avec plaisir quelques dessins au milieu des textes...
14 juin 2010