Argent de poche
Poche d'argent
Interrogé sur l'existence d'un compte en Suisse où se trouvent 78 millions d'euros de la fortune Bettencourt, l'administrateur Patrice de Maistre répond qu'il s'agit là d'une situation bien involontaire.
Évidemment, on peut se demander comment on en vient à avoir involontairement 78 millions sur un compte en Suisse. Laissez-moi vous le dire : ce n'est pas impossible. (De Maistre, prends des notes !)
Tout commence le jour où madame Bettencourt décide de sortir faire des courses. La voilà partie rejoindre son Falcon 7X au Bourget : il faut qu'elle arrive à Monaco avant la fermeture des boutiques. Chemin faisant, elle se rappelle l'existence d'un charmant petit magasin de chaussures à Zurich et demande donc à son pilote de faire un détour. Au moment de payer, le vendeur du magasin, bien embêté, bredouille qu'ils ne prennent pas les euros. Évidemment, n'ayant prévu que d'aller à Monaco, Bettencourt n'a pas un franc suisse sur elle. Qu'à cela ne tienne, elle se rend dans la banque d'en face pour faire changer quelques milliers d'euros. Seulement, on lui apprend qu'elle n'est pas entrée dans n'importe quelle banque, que ce n'est pas le genre d'agence qui rend les menus service du quotidien prolétaire, comme changer dix mille euros pour acheter des pompes. Et à tout le moins, il faudrait qu'elle eût un compte. « Eh bien, je vais en ouvrir un », répond notre dame. « Quel est le versement minimal ? » Cent millions de francs suisses, qui font soixante-dix-huit millions d'euros. « Ça tombe bien. Je les ai. » Vous pensez bien qu'une fois les chaussures achetées et la bonne dame envolée pour Monaco, cette petite mésaventure fut vite oubliée et Patrice de Maistre n'en fut pas même informé.
Il faut raisonner en proportions. Tenez, j'avais oublié l'existence de mon livret A de la poste avec 300 euros dessus. Eh bien, ramené à mon patrimoine, c'est dans des proportions du même ordre de grandeur que 78 millions par rapport aux vingt milliards de Bettencourt. C'est une affaire à échelle humaine, finalement. D'ailleurs, quand je file un euro à un clodot, Bettencourt en lâche deux cent mille dans les mêmes proportions, faisant soudain du clodot quelqu'un de plus riche que moi. Humain.
Ah mais, il semble que j'aie mal lu. Quand Patrice de Maistre parlait d'involontaire, il a utilisé les mots « négligence involontaire » par rapport à la découverte du compte en Suisse. Or, de Maistre dit, dans les fameux enregistrements : Il faut qu’on arrange les choses avec vos comptes en Suisse. Il ne faut pas que l’on se fasse prendre avant Noël
, puis en parlant d'un compte en Suisse : Je suis en train d’organiser le fait de l’envoyer dans un autre pays, qui sera soit Hong Kong, Singapour ou en Uruguay (…) Comme ça, vous serez tranquille
.
Et là, tout s'éclaire ! Quelle négligence ! Avec tous ces comptes à gérer aux quatre coins du monde, il y en a un qu'ils ont oublié de déménager à Singapour ! C'est donc bien involontairement qu'ils ont pu se faire prendre, n'ayant terminé leur magouille à temps.
Quelle déception, mon histoire de chaussures ne tient plus. C'est bel et bien un vrai scandale.
Photo : The World's Happiest ATM par l'utilisateur Flickr ohad*, sous licence Creative Commons by-nc-nd.
27 juin 2010
Commentaires
Cher Atv,
Il est vain de raisonner en proportion en matière de fiscalité. Sinon quelle étrange homothétie qu'est le bouclier fiscal ?
29 juin 2010
Comment, quoi, qu'ouis-je ?
Tu dis que mon raisonnement ne tient pas ? Diable.
N'empêche, c'est vrai, ce que tu dis, l'argent devrait être une grandeur construite comme le décibel, pour que gagner deux fois plus revienne à ajouter un SMIC (ce serait donc logarismic). Ça donnerait une formule de conversion du genre (ln(somme en euros) - ln(smic)) * smic / ln(2). Gagner le SMIC reviendrait à être payé… Zéro. Hm. Il y a sans doute des modalités à préciser. La seule façon de résoudre le paradoxe salaire minimum = zéro serait de pourvoir gratuitement aux besoins de base de chacun (ah, tiens, c'est communiste, mon truc). Au moins, il serait mathématiquement impossible de toucher moins qu'un SMIC. Et puis, avec ce système, le patrimoine de Bettencourt serait de 35 000 euros, soit 3,5 fois le patrimoine moyen d'un foyer français vu dans le même système. En tout cas, ça encouragerait à faire tourner l'économie puisque la valeur de ce qu'on ajouterait à son épargne diminuerait en fonction de l'épargne existante (Bettencourt aurait accumulé ses 35 000 euros de patrimoine en en gagnant réellement 20 milliards, qui en auraient réellement valu 20 milliards dépensés au fur et à mesure).
Mais non, c'est pas plein de failles.
OK, c'est plein de failles.
29 juin 2010