Microfono - MicrophoneAh, ils sont filous, les chargés de communication, les communicants, comme on dit. S'ils avaient un saint-patron, il s'appellerait Communique, nique, nique.

Il faut dire qu'ils ont un métier difficile et des clients qui leur demandent l'impossible. Imaginez l'agence ou le service interne qui s'occupe de la communication de BP : Les gars, on a tellement de brut qui dégueule du fond de l'océan qu'on n'a pas la moindre idée de l'ampleur du désastre, sinon que c'est le pire de tous les temps. On a un président qui a le culot de dire au monde entier que cette catastrophe lui a dégradé sa qualité de vie, puis qui fait l'autruche en préférant être sur un voilier de luxe plutôt que d'aller faire un tour dans le golfe du Mexique pour montrer que peut-être, il se sentirait un peu concerné. On a aussi derrière nous des années de campagnes publicitaires où on vante les énergies propres et notre engagement écologique. Enfin, des preuves commencent à émerger que tout ça, c'est dû à une grosse connerie d'un de nos managers. Bon. Vous me faites un plan de com dans la soirée pour arranger tout ça ?

Alors, oui, ces types travaillent exclusivement à coups de ruses perfides, mais ont-ils vraiment le choix ? (Bien sûr, ils pourraient faire un boulot honnête, mais alors, sur quoi j'écrirais, moi ?)

Parmi toutes ces ruses, j'ai l'impression qu'ils ont récemment trouvé un petit outil bien pratique. L'adjectif crédible. Autrefois, pour vanter une action, un programme politique, un plan de restructuration, on osait promettre l'utilité, le réalisme, l'innovation, la révolution, voire, audace extrême, la solution. Quelle imprudence. Et si le plan s'avérait inutile, irréaliste, recyclé, sans impact ? Ça pourrait, plus tard, se retourner contre l'auteur du projet, contre l'orateur qui avait promis la lune. Mais un discours sans promesse, c'est comme un beau melon qui ne sent rien, personne ne prend !

Comment faire une belle promesse, bien séduisante, qui n'engage à rien ? Une promesse qui n'engage à rien, est-ce possible ?

Eh bien, oui ! Désormais, grâce à l'adjectif crédible, on vous fait simplement la promesse que vous allez peut-être réussir à gober qu'on est en train de vous faire une belle promesse.

Ainsi, aujourd'hui même, annonçant ses plans pour l'avenir de son entreprise, Stéphane Richard, le directeur général de France Télécom, nous a fait rêver, j'en avais les larmes aux yeux. Le projet Conquêtes 2015 (sic) doit absolument contenir des éléments, des objectifs, et des moyens précis qui permettent de répondre (…) de façon crédible aux problèmes que nous avons rencontrés en France.

Diable, c'est ambitieux. Le but, la promesse, est de répondre de façon crédible aux problèmes. C'est-à-dire, de façon à ce que les gens soient persuadés qu'on y répond, que ce soit le cas ou non. C'est ça, la définition de crédible. Qui a l'apparence du vrai. Décrire quelque chose comme crédible plutôt que comme certain, c'est donc presque un aveu d'incapacité, pour ne pas dire un mensonge. D'ailleurs, on manipule les crédules à coups de crédible.

Est-ce pour ça, pour sa valeur de manipulation, que le mot crédible prend une valeur aussi positive aux yeux des communicants ?

Non, je ne serai pas cynique au point de penser les communicants si cyniques.

Plus probablement, l'expression pas crédible a, elle, généralement à raison, une valeur négative. C'est pas crédible, ton truc.

Alors, par un raccourci de logique totalement faux, on imagine que si pas crédible, c'est mal, alors crédible, c'est bien. Socrate est un homme, donc ceux qui ne sont pas Socrate ne sont pas humains. Ça se résume à une connerie pareille.

Mieux encore

Non avare de crédibilité, monsieur France Télécom peut faire mieux :

On fait un plan à cinq ans parce qu'on estime que si on veut être crédible il faut qu'on ait le temps (…)

On estime que si on veut être crédible, il faut qu'on ait le temps

Que nous promet-il là ? Il nous promet qu'ils estiment quelque chose, ce qui est un engagement d'une force rare. Qu'ils estiment quoi ? Qu'ils estiment une théorie qui est que si A alors B.

A, c'est on veut être crédible. Ce n'est même pas une promesse, c'est une supposition, une condition théorique. La condition, donc, est que France Télécom veuille quelque chose. Encore une fois, un bel engagement. Vouloir quoi ? Être crédible ! Résumons : la théorie établit que si France Télécom veut que son plan soit bien ou pas bien (mais ait l'air bien), alors il leur faut du temps ! Une position bien engagée.

Du temps pour quoi ? Peu importe ! On est dans une théorie. Par exemple, si en réalité, ils ne veulent pas être crédibles (et ils n'ont jamais promis qu'ils seraient crédibles, ni même qu'ils voulaient l'être, puisque tout ça est conditionnel), alors il n'y aura jamais besoin de savoir s'il faut du temps ou non. Et encore, c'est ce qu'ils estiment. Et quelle réalisation n'a pas besoin de temps ? Oser estimer qu'une tautologie est vraie, voilà un pari complètement insensé de la part de notre orateur.

Bref.

Mon chargé de com me dit que le billet traîne en longueur et qu'il est temps de prononcer une parole forte qui ralliera tous les suffrages de mon abruti de lectorat. Alors voilà :

À L'étrange blogue de M. Atv’, nous estimons que si nous voulons être crédibles dans notre volonté d'être audacieux, alors il nous faut les moyens de cette volonté. (Vivats de la foule en liesse.)

Merci, merci.


Photo: Microfono par Ricardo Francone / flickr, utilisée sous licence CC by-nc-nd.