Quoi de mieux qu'un récit de catastrophe par une chaude soirée d'été ?

MalpassetBien des choses, sans doute. Il n'empêche que les récits de catastrophes me fascinent. Tenez, on commémorait récemment le cinquantième anniversaire de la rupture du barrage de Malpasset : j'ai passé des heures à regarder les émissions de télé dédiées, à lire les articles de journaux, la page Wikipédia, les sites web consacrés à la catastrophe. Hitchcock avait raison : la tension dramatique naît du fait que le spectateur en sait plus que les protagonistes. Aussi, le frisson intervient dès la première ligne, quand le barrage n'existe même pas et que l'auteur aborde l'histoire de sa construction : Mais, ne le construisez pas, bande d'idiots !, s'écrie-t-on. Les fondations sont instables. Elles vont rompre ! Écoutez le gardien ! Il a vu les fissures, entendu les craquements. Article après article, inlassablement, on se replonge dans l'histoire pour relire le moment paroxystique où le béton cède. Inlassablement, comme un gamin à qui on a raconté cent fois le Petit Poucet et qui frissonne toujours quand l'ogre tue ses filles.

Il ne faut y voir ni du voyeurisme, ni un attrait morbide pour le malheur des gens. Plutôt un goût pour la mécanique de l'enchaînement des événements qui conduisent au désastre, et pour celle des événements qui s'ensuivent. Ainsi, évidemment, que pour l'extraordinaire des situations décrites. C'est comme un bon thriller qu'on lirait dans le noir.

Voici d'ailleurs la preuve qu'une catastrophe n'a pas besoin de faire de victimes pour tenir en haleine.

Lake PeigneurLe 20 novembre 1980 — jour propice à bien des miracles —, un forage pétrolier a lieu au milieu du lac Peigneur, en Louisiane. Suite à un mauvais calcul, la plateforme ne se trouve pas à l'endroit prévu mais juste au-dessus d'une mine de sel qui s'étend sous le lac sur plusieurs niveaux de galeries. Lorsque la tête du trépan perfore le plafond du niveau supérieur, l'eau commence à s'engouffrer. Sous la pression qui abrase la terre et le sel, le trou s'agrandit rapidement et la mine se remplit de plus en plus vite. En surface, la situation n'est pas plus heureuse : un énorme tourbillon se forme par lequel le lac se vide, aspirant la plateforme, onze barges et 26 hectares de terrain environnant, dont des arbres. Un canal normalement alimenté par le lac voit son cours inversé et se vide en une gigantesque cascade dans ce qui est désormais un gouffre béant. Sous la pression de poches d'air comprimées par l'inondation, des geysers de 120 m de haut jaillissent des puits de la mine. La mine, la plateforme et les bateaux furent évacués à temps et il n'y eut aucune victime.

Un lac qui se vide comme une baignoire est déjà quelque chose d'insolite, mais ce blog ne peut pas porter « étrange » dans son nom sans mentionner une des catastrophes les plus bizarres qui soient arrivées.

Boston, janvier 1919. The Molasses Disaster.

Boston Molasses DisasterC'est un jour inhabituellement chaud, dans une zone industrielle du port de Boston. Un réservoir est plein de mélasse attendant d'être conditionnée comme sucre bon marché ou d'être distillée en alcool. Pas un petit réservoir : 15 m de haut (cinq étages) sur 27 de diamètre, contenant presque dix millions de litres de l'épais liquide brun. D'un coup, dans un fracas de mitraillette dû à l'expulsion des rivets, la citerne s'effondre. Les 14 000 tonnes de mélasse se déversent dans le quartier dont le sol tremble sous le raz-de-marée. La viscosité du liquide avançant à près de 60 km/h rend la vague de plusieurs mètres de haut particulièrement dévastatrice : sous la pression, des immeubles sont écrasés, un train quitte sa voie, des poutres d'acier sont brisées… Dans une odeur de confiserie, le bilan est terrible : 21 personnes meurent engluées, ainsi que de nombreux animaux. 150 sont blessées. Il fallut des mois pour nettoyer toute la mélasse et le folklore local veut que, les chaudes journées d'été, on en perçoive encore l'odeur.