Ton blog existe encore ? Je pensais que Facebook avait tué tous les blogs.

Au contraire. Facebook a sauvé les blogs. Je me méfie de Facebook comme de la peste (c'est-à-dire pas assez) mais je dois bien leur reconnaître ça.

Facebook a sauvé les blogs en absorbant tout le contenu instantané, personnel, privé et périssable ; en offrant un support dédié à ce qui atterrissait jusque là, faute d'une plateforme plus pratique, sur des blogs : les nouvelles qu'on donne de soi, l'humeur anecdotique du moment, les photos du petit dernier, les lolcats et vidéos-mdr… Une fois la tornade Facebook passée, on voit qu'il reste un paysage fait de monuments plus solides, de balises plus visibles. Le blog ultra-personnel n'existe presque plus, sauf chez quelques rédacteurs que l'on va plutôt lire pour la qualité de leur écriture que pour celle de leur vie. Les blogs qui subsistent ont la volonté de durer en tant que fournisseurs de contenu original et public. Et ils vont être de plus en plus faciles à trouver car seuls à utiliser le terme « blog ».

Bien sûr, le contenu « anecdotique » a sa place sur Internet et n'est pas un sous-contenu — par bien des aspects, avoir des nouvelles de ses proches ou rire avec eux (même virtuellement) est plus important qu'une critique de film ou qu'une chronique économique. Mais la migration de ce contenu vers Facebook a clarifié le net, le contenu social se retrouvant séparé du contenu public. Facebook prend en charge la communication quand les blogs conservent l'expression et le contrôle technique et légal de leur publication.

Facebook a sauvé les blogs, aussi, en leur offrant le substrat qui leur faisait défaut. On parle de blogosphère — elle n'existe pas. Il y a une myriade de blogs et pas de connexions, pas de médium entre eux. Il faut être un peu narcissique pour tenir un blog. On s'occupe beaucoup de son petit territoire. Pas que l'on n'aime pas les autres blogs — j'en lis des dizaines. Mais, plus prosaïquement, en dehors de la citation et de la revue de presse, les journaux ont-ils des connexions plus fortes que le marchand de journaux ? Je ne crois pas. De même, jusqu'à maintenant, à part quelques liens et citations, les blogs n'avaient en commun qu'un net bien trop immense.

Désormais, ils ont Facebook qui leur permet de matérialiser un tissu social entre lecteurs. Certes, Facebook ne rapproche toujours pas les blogs entre eux mais il crée une façon unifiée d'accéder à leur contenu via des phénomènes de recommandations en cascade : quand un article fait mouche, son succès repose beaucoup moins qu'avant sur la chance (celle d'être lu par un auteur influent qui le recommandera à son tour sur son blog, celle d'être bien classé dans les moteurs de recherche, etc.). Il suffit qu'un ou deux anonymes le trouvent suffisamment intéressant pour coller le lien sur leur mur, que les amis intéressés le recommandent à leur tour, etc., pour que l'article soit lu. Les gens sont grégaires, ils ont besoin que d'autres aiment la même chose qu'eux pour se rassurer sur leurs propres goûts. C'est particulièrement vrai en musique mais ça vaut aussi pour les blogs.

Revers de la médaille : les commentaires et recommandations (« j'aime ») ayant désormais lieu sur Facebook, ils ont de grandes chances de ne pas remonter jusqu'à l'auteur. Simultanément, le blog lui-même perd en activité visible. Facebook fournit quelques outils permettant d'afficher sur le site une partie des réactions qu'il a engendrées mais ils sont tout sauf exhaustifs (Facebook protège les commentaires de ses utilisateurs réalisés dans le cadre semi-privé de leur cercle d'amis — ce qui est très bien pour les utilisateurs, moins pour les sites concernés). Le bouton « j'aime » est, quant à lui, à double tranchant : s'il permet aux flemmards, qui n'auraient jamais pris leur clavier pour réagir, de recommander du contenu, il permet à une deuxième classe de flemmards de ne plus prendre leur clavier, quand ils en auraient fait l'effort autrement. Enfin, tout cela n'est pas très grave, l'intérêt d'un blog étant plus dans la publication que dans les réactions.

Facebook a sauvé les blogs, enfin, en étant sans doute l'agrégateur de flux le plus accessible, utilisable sans avoir jamais entendu parler de flux RSS, ce qui est le cas de la plupart des gens. Il suffit d'« aimer » un site pour retrouver toutes ses publications sur sa page d'accueil Facebook, pour peu que l'auteur du site en question ait fait l'effort de paramétrer correctement la page dédiée à son site. Un seul clic.

Évidemment, en écrivant cela, j'ai un peu l'impression de vendre mon âme au diable. Alors je me sens obligé de dire l'évidence : tout en étant utile, Facebook est un écosystème fermé, non régulé autrement que par ses propriétaires et qui n'a pour objectif que secondaire la satisfaction de ses utilisateurs, cette satisfaction étant requise pour accomplir leur objectif commercial, celui d'afficher les publicités les plus ciblées et les plus insidieuses possibles à autant d'utilisateurs que possible, qui auront, sans s'en rendre compte, livré pendant des années tous les détails de leur vie et de leurs goûts à des algorithmes statistiques nourrissant des bases de données nous connaissant mieux que quiconque. Le rêve de toute agence de renseignement, sans même avoir à cacher les micros, car les gens sont prévenus et consentants.

Alors voilà peut-être la dernière raison pour laquelle Facebook a sauvé les blogs : en nous rappelant qu'il est essentiel de conserver des espaces d'expression totalement indépendants.