C’était une porte de garage, le modèle métallique qui coulisse vers le haut, un peu cabossée, peinte, repeinte, sale, au pied d’une façade gigantesque tant en largeur qu’en hauteur.

L’immeuble semblait constitué de générations successives de logements et de bureaux en béton superposés ou juxtaposés, ou les deux, au fil du temps.

De la rue étroite, écrasée par la construction, était montée assez de fumée urbaine pour tout griser, un gris mat, foncé, presque noir par endroits, qui absorbait la lumière et laissait deviner, plus que voir, les multiples décrochements et bordures entre étages, sections, les conduits apparents, renforts, poutrelles, corniches au profil carré ou semi-circulaire, bordures de fenêtres qui diffusaient la lumière jaunie de l’intérieur. Le souffle du chergui se heurtant à la façade et plongeant dans la rue faisait siffler le moindre poteau sur son passage. Venues d’ailleurs, des odeurs épicées passaient par paquets.

Riad vérifia encore l’adresse et s’approcha de la porte de garage. Aucune poignée, aucun mécanisme d’ouverture n’était visible. Ni sonnette, ni bouton. Au-dessus de sa tête zinzinulaient les ailettes d’un bloc de climatisation.

Il voulut frapper à la surface écaillée et n’avait pas encore bougé la main qu’un déclic se fit entendre. La porte s’éleva d’un mètre. Derrière, un homme dont il ne voyait que les jambes se tenait sur un sol de ciment peint. Youri, dont la voix lui dit de se dépêcher.

Riad soupira silencieusement et s’accroupit. Lorsqu’il hésita à franchir le seuil par peur que le singe invisible de la dramaturge, juché sur ses épaules, ne se mange la porte, il s’insulta intérieurement et s’engagea à genoux, pris d’un désagréable sentiment d’infériorité.

Alors que Youri refermait la porte, Riad examinait les lieux. La lumière faible et la quantité de choses ne lui permettaient pas de vraiment comprendre l’agencement du local. Celui-ci faisait peut-être la superficie d’un garage, quelque chose comme deux fois la largeur et deux fois la longueur d’une voiture.

L’essentiel lui restait caché, formant une obscurité complexe faite de strates, de niches, de passages et de recoins. Le sol était presque entièrement occupé par un aménagement dense qui ne laissait qu’un couloir sinueux pour se déplacer. Une tanière, pensa Riad. Çà et là, des diodes rouges ou vertes luisaient, soulignant le contour de quelque objet d’une brillance colorée. Des demi-niveaux, presque des conduits, semblaient praticables pour qui voulait ramper sur le dos de grandes malles, entre des étagères supportant cartons bien rangés et appareils d’où partaient, accrochés à des tubes et montants, des faisceaux de câbles qui matérialisaient les trois dimensions de l’espace.

Les yeux de Riad s’habituaient. Une lueur diffuse émanait du fond. Des écrans, il supposait.

« Viens, » dit Youri en s’enfonçant dans la structure.

Riad pouvait maintenant voir les écrans et la silhouette assise devant. Ses contours se découpaient en contre-jour, si bien qu’il était incapable de savoir si elle était tournée vers eux ou vers les moniteurs. Le bruit d’un clavier le renseigna.

« Riad, dit Youri, je te présente Maât. »

Alors que le siège se retournait, les tubes d’inox étincelèrent sous la lumière bleutée des surfaces organoluminescentes. Sur le fauteuil roulant se trouvait une jeune fille dont, malgré l’obscurité, il aima immédiatement les traits. Elle lui tendit la main en souriant, un sourire net et franc.

« Excuse le désordre. »

En fait de désordre, malgré l’encombrement, Riad avait rarement vu un endroit aussi méticuleusement rangé. Il distinguait désormais un lit suspendu accessible par un passage en hauteur, ainsi que, dans une alcôve basse, un réchaud, un évier et, au fond, un rideau qu’il imagina dissimuler des toilettes. Maât vivait dans ce garage.

« Enchanté, dit Riad qui trouva que ça sonnait terriblement mal.

— Prenez des tabourets. Attrapez-les là-haut. »

Elle désigna un espace dans la structure tubulaire. Riad constata qu’elle portait un treillis anthracite et un t-shirt multicolore.

« On a du boulot, les gars. Genre sérieux. »

Épisode suivant : vol 0007