Dans la série des mots moches du moment, le « collectif » tient une bonne place. Collectifs de musiciens, collectifs d'associations, collectifs d'artistes… Pas un jour ne passe sans que la presse ne se fasse écho de l'action de tel ou tel collectif (car les collectifs s'occupent généralement à mener des actions ou à transmettre des messages, voire à exprimer des revendications).

Mais, un collectif, qu'est-ce que c'est ? Est-ce à la collection ce que le correctif est à la correction ? (C'est-à-dire la même chose en plus moche.) Vraisemblablement pas. Évidemment, on pourrait se contenter de regarder dans le dictionnaire. Le Larousse et le TLF s'accordent à dire qu'il s'agit d'un ensemble de personnes travaillant à une même entreprise. On sent bien qu'en ce moment, c'est plus que cela. Si j'affirmais que nous constituons un collectif avec mes collègues de travail, sans doute un journaliste viendrait-il aussitôt nous demander quelle est notre cause et quand a lieu le happening.

On peut aussi s'intéresser à l'étymologie. Plus précisément, à ce suffixe –if qui, dans la langue française, équipe les adjectifs désignant une propension, un mode d'action, presque une raison d'être. Une substance corrosive corrode et, contrairement à une substance dangereuse, on serait fort contrarié qu'elle ne corrodât pas. Un élève attentif mène une action ouverte de concentration. Il n'est pas seulement sage.

On note que l'immense majorité des noms communs en –if sont des adjectifs substantivés. Un adhésif est un ruban adhésif ou une substance adhésive abrégés. Un oisif est une personne oisive. Un correctif, une action corrective (on voit qu'autant le substantif correctif est absurde, autant l'adjectif est utile : ponçage correctif, décision corrective…). Que serait donc le collectif substantivé ? Un groupe collectif ? Pléonasme. C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit. Un collectif de musiciens est un groupe de musiciens. Un collectif d'artistes est un groupe d'artistes. Un collectif d'associations, un groupe d'associations. Le pléonasme flagrant n'est pas la moindre des horreurs de ce mot.

Qu'est-ce qui fait, alors, qu'on parle tant des collectifs ? Qu'est-ce qui fait qu'on se nomme collectif (hormis le fait qu'on trouvera un écho dans les médias) ? Qu'est-ce qui fait que le collectif respire la révolte à deux balles, le sourire carnassier et le mode de pensée négatif ? Déjà, sans doute, le fait que rien qu'à travers son nom, il rejette la possibilité de n'être qu'un groupe. Il rejette la possibilité d'utiliser le vocabulaire, les conventions existantes. Il se moque, par son pléonasme hideux, de recourir à la logique. S'il pouvait s'appeler kolektif, il le ferait. Oups. Ça existe. (En plusieurs exemplaires, même, cf. Google. Pour l'anticonformisme, on repassera.) Et puis, surtout, le collectif est, tant en tant qu'institution qu'en tant que mot, un gros glaçage bien sucré qui fait complètement fi de la saveur du groupe sous-jacent. On se moque bien de savoir quelle musique joue un collectif de musiciens. On veut savoir leurs opinions politiques, leur message, leur action militante. Au mieux, on lira les paroles engagées. On n'attend pas d'un collectif d'associations qu'il travaille, qu'il fédère des efforts, qu'il accompagne ses adhérents dans la réalisation pratique d'un projet. On attend de lui qu'il produise du pur bullshit médiatique pseudo-libertaire à la con.

Bref, c'est donc un des mots les plus moches du moment, qui a néanmoins l'avantage de désigner avec la même efficacité qu'un jingle de pub le moment où l'on peut (doit) se détourner de la propagande à venir.