Pourquoi, quand un avion s'écrase, des activistes ne surgissent-ils pas, criant qu'il fallait s'y attendre, qu'on n'aurait pas dû jouer avec la gravitation, qu'il s'agit d'une force que l'humanité est incapable de maîtriser et que les experts en sécurité aérienne devraient en tirer une bonne leçon d'humilité ?

Pourquoi, alors que la production d'électricité à partir d'énergie fossile tue plusieurs centaines de milliers de personnes dans le monde chaque année[1] et qu'on assiste à plusieurs marées noires catastrophiques par décennie, les camions-citernes et wagons-citernes ne sont-ils pas bloqués par des militants enchaînés aux rails et aux roues ?

Pourquoi les gens se précipitent-ils pour acheter des comprimés d'iode et des compteurs Geiger suite à une pollution localisée en Asie qui disperse au-dessus de la France une quantité si faible de particules radioactives que même les spécialistes ont du mal à la mesurer, alors qu'ils vont sans rechigner se prendre des doses autrement plus importantes chez le dentiste ?

Pourquoi ont-ils plus peur des radiations que des solvants et des micro-particules qu'ils respirent chez eux et dans la rue à longueur de journée ? (Parfois dispersés volontairement pour le « confort » : insecticides, parfums d'intérieur…) Et, surtout, pourquoi raisonnent-ils en mode binaire, où la moindre radiation devient un danger mortel, alors qu'ils sont prêts à admettre que les risques chimiques sont à la mesure de la dilution de la substance ?

Tout tue. C'est une question de mesure et les réactions sont, ici, disproportionnées voire opposées à la raison. Il y a de quoi s'inquiéter du nucléaire. Mais pourquoi lui réserver ce traitement de défaveur ? Hystérie collective entretenue par des images horribles dont on a oublié qu'elles sont, statistiquement, anecdotiques. Effet d'entraînement du militantisme et de la cause à défendre, le regard déformé par quelque caractère étrange de répulsion qu'a l'atome et que les autres technologies n'ont pas. Les miroirs déformants sont partout. Les animaux mignons sont mieux protégés que les moches. On attaque plus volontiers les technologies qui semblent les moins naturelles. L'amalgame réacteur nucléaire / bombe atomique, quant à lui, n'aide pas. C'est là que le discours est facilement déformé : le nucléaire, bien qu'extrêmement dangereux, est peu risqué.

Je souscris pleinement à la volonté écologique première de ceux qui appellent à des énergies meilleures : celle de mettre des panneaux solaires sur tous les toits, des générateurs dans toutes les rivières, et tout autre moyen de mieux utiliser nos ressources énergétiques naturelles. Mais l'opposition au nucléaire est la pire des façons d'amorcer ce changement car c'est se fonder sur des arguments de peur, des idées fausses, qui ne peuvent en aucun cas conduire à une conclusion juste, ni même ouvrir la moindre possibilité de réflexion.

Laissez tomber les dogmes, faites péter les idées. C'est de ça qu'on a besoin.

Haute tension (par Marylise Doctrinal sous licence CC) Photo : Haute tension par Marylise Doctrinal sous licence CC

Notes

[1] Source OMS plus calcul by bibi : 2,4 M de morts par an à cause de la pollution des énergies fossiles. 40 % de l'énergie fossile est utilisée pour la production d'électricité. On divise d'un facteur dix au cas où les centrales thermiques seraient des modèles de propreté par rapport aux transports, et on arrive quand même à cent mille morts par an. (Mise-à-jour du 6/05/2011 : voir aussi cette source.)