Ce week-end, grâce à Frédéric « Dumbo » Lefebvre, j'ai compris un truc.

Pour ceux qui n'auraient pas suivi, notre secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des PME, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation (sic) a affirmé, en plein salon du livre et avec un superbe aplomb, que son livre préféré était Zadig et Voltaire. Une marque de fringues qui coûtent bonbon et au nom sans scrupule. Ça fait deux jours qu'il est la risée de la France entière et toutes les bonnes blagues ont déjà été faites, je ne vais donc pas en rajouter. Mais j'imagine que son actrice préférée est Zara Bernhardt et que les thèses structuralistes de Levis Trauss le passionnent. (Désolé, pas pu m'empêcher.)

Lefèbvre-Inutile

Ce week-end, donc, suite à cette bourde monumentale aussi hilarante que désolante, j'ai compris que la société s'était renversée. Comme un iceberg bascule.

Il fut un temps où le gouvernement était composé des meilleurs citoyens car telle était la volonté du peuple, l'État étant l'outil de construction du bien commun. On cherchait à élire des modèles de vertu, d'intelligence, de sagesse, de réussite qui sussent faire se sentir chacun fier de son pays. C'était une question de représentation. Il y a des occasions où il faut se mettre à son avantage. Aux moments importants, on s'habille bien. Pour bien paraître mais aussi pour, soi-même, se sentir bien. Se sentir classe. Avoir confiance en soi. Il en va ainsi d'un pays : on veille à le vêtir bien. De Gaulle : classe. L'amitié Mitterrand-Kohl : classe. Victor Hugo ministre, Aimé Césaire député : classe. La représentation que le monde se fait de nous construit en partie la façon dont nous nous voyons nous-mêmes. Il s'ensuit qu'un gouvernement qui met le pays à son avantage nous rehausse en tant que citoyens. Nous savons que nous pouvons sereinement nous préoccuper de nos affaires quotidiennes pendant que des têtes mieux formées que les nôtres s'occupent des affaires du pays. C'est important.

Et un basculement s'est opéré. Le citoyen-individu ne croit plus en l'idée que la destinée commune puisse être favorablement portée par l'action politique (au vu de l'Histoire, peut-on l'en blâmer ?). Il se dit que si toute cette belle démocratie n'a servi qu'à produire des centaines de millions de morts à la guerre en seulement un demi-siècle, à créer des ghettos de béton, à faire passer la technologie et les chiffres avant l'homme, alors il n'aurait pas pu faire pire lui-même. Il se dit que les têtes bien formées ne sont qu'un ramassis d'intellos cher payés incapables d'infléchir favorablement le cours de l'Histoire avec leurs idées. Alors, puisque la politique a failli à élever le peuple autant qu'il aurait fallu (car elle l'a élevé tout de même), le peuple a décidé de se choisir des représentants qui ne fussent plus des modèles mais, au contraire, de s'ériger en modèle à suivre pour ses représentants[1]. Leur donnant un peu de son fameux bon sens. Leur conférant aussi un niveau, par définition, moyen. Or, quand il s'agit de politique, un niveau moyen, c'est peut-être rassurant pour le peuple mais c'est désastreux pour le pays. Un type moyen peut faire des conneries exceptionnelles. On ne peut être moyen et irréprochable, par définition. On ne peut pas souhaiter un dirigeant qui soit « comme » le peuple et qui parvienne à le tirer en avant. On ne peut pas rêver d'être meilleur si on rêve à soi-même. On ne peut pas aller à un mariage en t-shirt. On ne peut pas avoir un président qui ne parle ni ne se tienne correctement, on ne peut pas avoir un ministre qui ne sache être plus sage que le Français raciste moyen en affirmant qu'il y a trop de musulmans en France[2], et on ne peut pas avoir un secrétaire d'État qui confonde une marque de fringues et un des plus grands classiques de la littérature française. Pas classe, pas classe, pas classe.

Aux yeux du monde mais surtout à nos propres yeux, nous sommes tous le pauvre type qui va à un mariage en t-shirt.

… Et, non, ce t-shirt ne sera pas plus classe en bleu Marine !

Notes

[1] Vous verrez, dans quelques années, la télé-réalité formera des politiciens comme elle forme aujourd'hui des chanteurs.

[2] Guéant, aujourd'hui.