L'homme, à peine sorti de sa jungle ou de ses cavernes, n'accordait pas une importance phénoménale à sa tenue en public. Il battait la savane sans se soucier qu'on lui reprochât de gambader cul nu, le dos voûté, rasé de l'avant-veille, baigné de l'an dernier et se grattant ostensiblement le postérieur, un Bambi sanguinolent jeté sur l'épaule.

Puis vint l'habitude, chez les homo sapiens suffisamment civilisés, de faire salon. On se retrouvait dans la grotte du fond entre chasseurs de la haute, artistes distingués, amateurs de bons cris, où l'on griffonnait des mammouths sur le mur tandis que d'autres gesticulaient la dernière comédie. Il était alors de bon ton d'en griller une afin de montrer que contrairement à ces connards de néandertals, on maîtrisait le feu[1].

L'habitude de fumer pour se donner bonne contenance subsista à travers les millénaires. L'on inventa les vestons, les chapeaux, les montres, les lunettes de soleil, les bijoux, les chaussures de marque, las, rien ne donnait tant la classe qu'un filet de fumée sur une photo en noir et blanc. Le tabac ne restait cependant qu'un maigre progrès de civilisation. Il laissait, en effet, les doigts aussi sales et puants qu'un grattage de postérieur primitif.

L'homme inventa donc le smartphone. L'utilité du smartphone rejoint en partie celle du tabac : il occupe les doigts et justifie que l'on aille s'isoler du groupe social. Il partage aussi certains caractères du tabac : interdit dans l'avion et, à l'instar du briquet, langoureusement balancé à bout de bras dans les concerts. Surtout, il rend toute dignité à celui qui se retrouve, l'espace d'un instant, isolé en soirée. Pianoter sur son smartphone, adossé au mur dans une posture calculée (tout se joue dans les jambes), l'air concentré voire préoccupé, fait passer instantanément du statut de looser à celui de businessman. En outre, un smartphone correctement utilisé n'empuantit pas les doigts.

Le smartphone partage pourtant avec le tabac certains défauts. Le manque dès le réveil qui pousse à entamer chaque belle journée par une quinte de spam nauséabond. Plus généralement, l'accoutumance. Sans compter la gêne des autres : conversations téléphoniques qui polluent la table voisine au restaurant, besoin de trouver du wi-fi comme d'autres cherchent un bureau de tabac… Il y a aussi l'empreinte sur le budget et, dit-on, l'atteinte à la santé. Le pire restant que si les doigts sont libérés de leur odeur, c'est tout l'utilisateur de smartphone qui peut parfois s'avérer infect dans ses manières.

C'est ainsi que, pour m'aider à arrêter le smartphone, j'envisage de commencer à fumer. Établissant définitivement le lien entre téléphone portable et cancer.

Épilogue

Dans le futur, on se baladera cul nu, pas rasé, on se grattera le postérieur et la réalité augmentée nous fera apparaître aux smarteyes® de nos congénères comme des Humphrey Bogart et des Audrey Hepburn entourés de volutes mystérieuses.

Photo by Yousuf Karsh

(Billet inspiré d'un tweet de @Vinvin.)

Notes

[1] Rigoureusement faux mais indispensable à l'effet narratif. Les néandertals faisaient du feu, je les ai vus comme je vous vois. Ne croyez pas ce qui se dit sur le net. Ne croyez pas ce qui se dit tout court. On vous ment. Faites gaffe. Je déconne pas. Et ne tenez pas compte de cette note plus que du reste.