blog.pnk.fr : Quel est le rôle du SERARIIEN ?

Jean-Luc Mou : Le SERARIIEN s'est construit autour de trois objectifs. Premièrement, anticiper les bourdes avant qu'elles ne se produisent : ce sont les incertitudes. Deuxièmement, corriger les bourdes une fois qu'elles se sont produites : ce sont les négligences. Et troisièmement, satisfaire tout le monde : c'est ce que nous appelons les représentativités.

pnk : Pouvez-vous nous expliquer ce concept de « représentativités » plus en détail ?

J.-L. M. : Eh bien, dans un contexte politique où la parole est de plus en plus souvent donnée aux minorités, nous avons décidé qu'il était temps d'aller encore plus loin en permettant aux majorités d'intégrer les processus de décision. Nous avons donc créé cette idée nouvelle que sont les représentativités, qui englobent les minorités comme les majorités.

pnk : Vous dites les majorités. N'y a-t-il pas qu'une majorité ?

J.-L. M. : Il ne faut pas être sectaire dans la conception que nous nous faisons des majorités. Il faut abandonner notre vision ethnocentrée. Pourquoi risquer de heurter psychologiquement la majorité qui se retrouverait en deuxième ou en troisième position, derrière des majorités plus nombreuses ? De même que nous nous opposons aux classements à l'école, nous nous refusons à comptabiliser les opinions. Nous travaillons d'ailleurs sur un projet de loi qui interdirait de fonder le résultat d'une élection sur un décompte des votes, ce type de décompte étant toujours discriminatoire pour les majorités non majoritaires. Par ailleurs, depuis la directive sur la pluralité dans la vie politique, nous exprimons tous les concepts aux pluriels.

pnk : Pouvez-vous nous donner un exemple concret de votre action ?

J.-L. M. : En 2004, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, nous avons permis de satisfaire l'ensemble des représentativités : la majorité en rejetant le traité constitutionnel ; la minorité en ratifiant le traité de Lisbonne peu ou prou équivalent. Acceptait-on, au troisième millénaire, dans un pays démocratique, de laisser une majorité de 45 % sur le carreau ? Nous avons répondu par la négative.

pnk : La mesure n'a pas été très bien accueillie, à l'époque.

J.-L. M. : La nouveauté fait toujours peur. Depuis, les Françaises et les Français se sont habitués à ce genre d'ajustements démocratiques. Si nous refaisions la même chose aujourd'hui, les gens ne le remarqueraient même pas. Les esprits évoluent.

pnk : Quels sont vos leviers d'action ?

J.-L. M. : La peur. La vie politique est très précaire. Une petite bévue, une graine de conflit, une insatisfaction passagère, et l'avenir politique est vite compromis. C'est donc par peur de perdre leur poste que les ministres et les préfets écoutent et appliquent nos recommandations.

pnk : Quel genre de conseil leur donnez-vous ?

J.-L. M. : Sans trop en révéler, je peux vous donner quelques exemples de figures imposées. D'abord, il y a le revirement de dernière minute. Il s'agit de porter une loi pendant des années et d'en enlever toute substance à la veille du vote ou du décret d'application. Ainsi, promoteurs comme opposants, tout le monde aura été satisfait à un moment ou à un autre. On peut citer l'interdiction des feux de cheminée, les alcootests obligatoires dans les voitures…

pnk : Y a-t-il d'autres figures que nos lecteurs pourraient reconnaître ?

J.-L. M. : Autre grand classique : la demi-mesure. La décision récente concernant le barrage de Sivens en est l'exemple parfait, ce que nous avons appelé Sivens « light ». Le site sera quand même inondé et les agriculteurs auront moins d'eau que prévu. En fin de compte, tout le monde est content.

pnk : Dit comme ça, tout le monde devrait plutôt être mécontent.

J.-L. M. : Pas du tout, chacun est ravi d'avoir dérangé l'autre. Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas là pour créer de la justice, qui est une affaire de spécialistes que nous ne sommes pas. Nous sommes là pour diffuser du contentement populaire. Et un des principaux leviers à notre disposition, c'est la fierté.

pnk : Avez-vous connu des échecs par le passé ?

J.-L. M. : J'ai quelques regrets par rapport à Millau. Nous avons suggéré un viaduc à mi-hauteur. C'était un concept tout-à-fait novateur : un tunnel de chaque côté, chacun débouchant à mi-paroi, reliés par un pont. Ce mélange de trous et de viaduc, nous l'avions baptisé le trouduc de Millau. Ça n'a pas pris. Mais vous savez, dans le fond, pour nous, un projet avorté, c'est surtout un projet qui aura eu le loisir, au cours de sa vie, de satisfaire toutes les représentativités. Nous n'échouons donc jamais vraiment.

pnk : D'autres projets pour l'avenir ?

J.-L. M. : Oui. Dans l'esprit du Sivens « light », nous imaginons un « mini Fessenheim ». Nous conserverions au plus un demi réacteur sur les deux unités actuelles. Ce n'est pas sans poser quelques problèmes d'étanchéité mais Areva y investit énormément. Et, croyez-moi, face aux crises comme celle que traverse notre champion national du nucléaire, il n'y a qu'un remède : l'innovation, toujours l'innovation. Vous verrez, dans dix ans, le pays qui a inventé la demi-baguette exportera des demi-réacteurs dans le monde entier.

pnk : Je crois savoir que vous avez autre chose dans les cartons. Souhaitez-vous nous en parler ?

J.-L. M. : En effet, un autre grand projet pour les années à venir, c'est la mise au point d'un djihad modéré. Depuis Voltaire, dans notre pays, les obscurantismes ont été vilipendés, humiliés, trainés dans la boue, et il est grand temps de reconnaître que nous sommes sans doute allés un peu loin. Chaque obscurantisme doit avoir sa place dans la France de demain. À l'heure de la mondialisation, il faut prendre exemple sur nos voisins et faire de notre pays une société multiobscurantiste. Pour autant, nous ne devons pas renier nos spécificités nationales, notre exception culturelle. C'est donc un djihadisme à la française que nous sommes en train de mettre au point.

pnk : En quoi consisterait ce djihadisme à la française ?

J.-L. M. : C'est celui qu'aurait voulu Charles de Gaulle. Un djihadisme du respect des valeurs. Il s'agit de casser l'escalade de la violence en proposant de la moins-violence à nos concitoyens, réaffirmant ainsi notre attachement à une certaine douceur de vivre à la française, celle que chantait Charles Trenet.

pnk : De la moins-violence ?

J.-L. M. : La moins-violence, c'est par exemple d'utiliser le contenu des poubelles jaunes, à l'exclusion des objets métalliques, pour procéder aux lapidations. On reprend une tradition et on la modernise, c'est-à-dire qu'on en fait une lapidation non-létale qui affirme son côté nature, qui s'inscrit dans des modernités écologiques de réutilisation. On travaille aussi à une application mobile permettant de brûler virtuellement des livres électroniques après les avoir sauvegardés. Là encore, on est en plein dans la modernité, il y a le respect de l'œuvre, et on invente l'autodafé 2.0 à bilan carbone nul. Pour les attentats, on ressort une idée tombée en désuétude, la tarte à la crème, qui conserve l'aspect vindicatif de la tuerie, mais bon enfant. Un terrorisme que n'auraient pas renié Bourvil, Fernandel et de Funès : celui de la joie plutôt que de la tristesse. Les entartés pourront obtenir l'aide d'une cellule de suivi psychologique s'ils le souhaitent. Comme vous pouvez le voir, on fourmille d'idées.

pnk : Vu le contexte, on se pose forcément la question : pourra-t-on, dans la France de demain, dessiner ce qu'on voudra sans craindre de se prendre une boîte de biscuits vide ou une tarte à la crème ?

J.-L. M. : Une fois clairement établi le cadre de la loi qui pose comme limite raisonnable à l'expression le respect des tolérances de l'ensemble des obscurantismes et des représentativités, tout le reste est possible ! C'est pour cela que ces nouvelles lois sont importantes : pour que ce soit possible. Vous pouvez dessiner une table et si on vous dit le contraire, l'État est de votre côté. Vous pouvez dessiner une chaise, même autant de chaises que vous voulez. L'important, dans tout ça, c'est de pouvoir contenter tout le monde sans avoir à prendre parti.

pnk : Rencontrez-vous des obstacles dans votre mission, de la frilosité, voire de l'animosité de la part de certains ?

J.-L. M. : Le plus dur, c'est de ne pas stigmatiser. J'ai parlé du djihadisme car c'était d'actualité mais les sectes ne seront pas en reste avec la création d'un ministère du point de vue sectaire qui délivrera des agréments permettant aux organisations sectaires d'exercer leurs activités dans un cadre légal. Cela sera rapidement étendu à tous les extrémismes afin de satisfaire aux représentativités.

pnk : On s'interroge tout de même quant aux risques de l'influence grandissante du SERARIIEN sur la politique nationale. Les chantiers de Saint-Nazaire sont-ils désormais condamnés à battre le record du plus grand demi-paquebot ? Le futur TGV ira-t-il suffisamment lentement ? Pourrons-nous arroser nos champs, éclairer nos maisons, voyager en avion ? À l'heure où toutes les grandes puissances relancent la course à l'espace, pourrons-nous en être ? Et aurons-nous une liberté d'expression restreinte au « sectairement correct » ?

J.-L. M. : Ces craintes sont parfaitement justifiées. Notre rôle étant de satisfaire tout le monde, nous avons émis une circulaire invitant à surdimensionner tous les nouveaux projets, afin de pouvoir satisfaire les opposants en les réduisant par la suite. Nous invitons d'ailleurs les dessinateurs à faire de même : commencer par proposer un très gros dessin puis négocier avec les obscurantistes pour aboutir à la taille d'impression souhaitée.

pnk : Voilà qui est rassurant. Merci d'avoir répondu à nos questions.


Précédemment sur blog.pnk.fr, l'interview du directeur de l'Agence française d'organisation des catastrophes.