N'a pas voté
Je ne me considère pas comme le dernier informé. J'écoute France Info en allant au travail ; j'ai souvent un navigateur ouvert sur un site d'actualités.
Pourtant, il y a dix jours, ce n'est que le jeudi que j'ai appris qu'on allait voter le dimanche. Quels étaient les candidats ? Aucune idée, on n'avait rien eu dans les boîtes. Pas de tracts, pas de programmes, pas de bulletins de vote. Quels étaient les enjeux ? Si j'essaie de me rappeler mes cours d'instruction civique, les départements gèrent les collèges et… et sans doute d'autres choses que ne gèrent ni les communes, ni les communautés de communes, ni les communautés d'agglomération, ni les métropoles, ni les syndicats intercommunaux, ni les régions, ni l'État, ni l'Europe. Il doit bien rester des choses ? Non ? Je veux dire, à part ce numéro que quelques extra-chauvins avinés nous ont forcé à maintenir sur nos plaques d'immatriculation.
Il faut que je vous avoue : pour la première fois de ma vie, j'ai presque pris du plaisir à ne pas voter. Si j'avais été chez moi ce dimanche-là, je serais allé à l'isoloir. Mais je partais pour le week-end et je me suis dit : bien fait. Vous me direz, il paraît qu'on peut établir une procuration jusqu'à la veille. Dans les termes si précis de service-public.fr : Une procuration peut être établie à tout moment et jusqu'à la veille du scrutin, mais, en pratique, le mandataire risque de ne pas pouvoir voter si la commune ne l'a pas reçue à temps.
C'est quand même rassurant de savoir qu'il suffit de s'y prendre à temps
pour que ça marche.
Mon emploi du temps du vendredi ne me permettait pas d'aller faire la queue pour déposer un papelard… Mais la France n'a-t-elle pas été très récemment classée par l'Onu au rang de premier pays européen pour les services en ligne ? Se pourrait-il qu'en quelques clics, ma procuration soit enregistrée ? Mais oui ! Nos impôts servent ! Le formulaire est disponible en ligne ! Il me suffit de le remplir et de cliquer sur Envoy… Pardon, sur Imprimer, après quoi il me reste à l'envoy… Pardon, à me rendre au commissariat, à la gendarmerie ou au tribunal d'instance pour y déposer le papelard (lequel, m'informe le site, est aussi disponible sur place). Ah, le vingt-et-unième siècle, sa France championne de l'e-administration, ses formulaires cartonnés, ses files d'attente au commissariat. Kafka-boudin.
À ce point de l'histoire, on a des candidats qui n'ont pas pris la peine de nous faire parvenir leur programme, une administration qui n'a pas arrangé les choses, un enjeu qui ressemble plus à une partie de Risk entre partis qu'à de la politique au service des électeurs, des départements dont le gouvernement disait encore récemment qu'il fallait les supprimer, une difficulté manifeste à soumettre mon vote et un désintérêt global certain. Je suis toujours un peu désolé quand je ne peux pas aller voter. Mais pour cette fois, et j'espère que ça restera la seule exception, je me suis dit : bien fait. Je ne suis absolument pas de ces trous du cul qui pensent que payer leurs impôts leur permet de tout exiger de leurs représentants. Mais la moindre des choses qu'on puisse attendre d'un candidat à une élection politique, c'est de faire campagne, même si ça se limite à des tracts dans les boîtes aux lettres avec éventuellement l'adresse d'un site internet. Et, de la part d'un État qui se lamente de l'abstentionnisme, d'informer les électeurs et de les aider à voter.
L'an dernier, j'ai déclaré mes revenus en trois minutes sur mon téléphone portable. Le week-end où j'aurais dû voter, je me suis enregistré sur mon vol avec mon téléphone portable et j'ai embarqué sans aucun document papier. Si des domaines aussi confidentiels et sensibles que les impôts et le transport aérien permettent de tout faire du bout du pouce à une terrasse de café, peut-être pourrait-on établir une procuration électorale en ligne ? Et pourquoi pas voter d'un clic, si on en fait le choix ? Risque de fraude ? Mandatons l'Inria pour poser les fondations d'un logiciel libre qui garantirait la transparence et la sécurité du processus. Perte du grand rassemblement citoyen, dématérialisation du processus démocratique, abandon des symboles républicains ? Est-ce vraiment regrettable si on perd en même temps dix ou vingt points d'abstention ? Est-ce que le regain d'intérêt des jeunes citoyens pour les élections ne serait pas le meilleur des symboles républicains ? Ce n'est pas le vote en ligne qui m'aurait fait me passionner pour ces départementales, mais au moins, j'aurais pris cinq minutes pour m'informer sur les candidats (car leur programme aurait bien entendu été disponible dans l'application de vote) et j'aurais pu, matériellement, voter. Comme si on était en l'an 2015.
29 mars 2015
Commentaires
Tu à tellement exprimé mon ressentiment (et surement celui de bon nombre de mes potes jeune ou moins jeunes)... Pour qui voter quand on à pas les programmes ? Quand on en parle quasiment pas ? Quand notre mairie est à 8h de train de la ou l'on est ? Une procuration ? Super, la méthode et tellement rébarbative que même en étant un attaché de la fonction démocratique, je n'ai moi aussi pas ressentit le moindre problème à ne pas pouvoir déposer mon bulletin dans l'urne. Je ne suis pas dis "bien fait" mais ce que je me suis dit et à l'image du climat ambiant et me fait déjà plus peur. Parce que je me suis dit "peut m'importe au final..."
Et j'ai peur que le peut m'importe devienne régulier tellement je me sens déconnecté d'un système qui ne fait aucun effort pour se renouveler. Je ne sais pas si le vote électronique m'aiderais à me ré-intéresser à mes élections départementale, mais au moins j'aurais peut être la tentation de me replonger dans les programmes tout comme lorsque j’étais plus jeune.
C'est tout ce que je peux me souhaiter à moi et aux autres.
30 mars 2015
Bonsoir
Sur l'aspect technique, il y a *justement* des gens à l'INRIA (entre autre) qui réfléchissent à ça (cf https://www.inria.fr/actualite/actu... et https://www.inria.fr/centre/nancy/a... , mais si ça se trouve c'est déjà de lui que tu parlais), et j'ai l'impression qu'à chaque fois on retombe sur un conclusion simple : va falloir faire un truc soit moins anonyme, soit moins secret, soit moins vérifiable que la bonne vieille urne transparente avec des papiers recomptés deux fois par des andouilles dans mon genre qui n'ont que ça à faire de leur dimanche.
A peu près toutes les expériences de vote éléctronique dont j'ai entendu parlé (US, Irlande, etc...) avec des bonnes grosses machines s'asseyaient gaillarement à la fois sur l'anonymat, le secret, et la vérifiabilité (ce dont tout le monde se foutait), et il y a des boites US qui sont devenues des stars du web avec des machines qui se pirataient à la clefs de 12. Je connaissais pas la version Estonnienne, je jetterais un oeil.
Fort heureusement, chez nous, les mamies n'arrivaient pas à cliquer sur l'écran dans l'isoloir, donc c'est passé de mode pour le moment.
J'imagine qu'à terme on étendra la façon dont les Français de l'étranger votent par Internet (donc en acceptant de perdre un peu d'anonymat en théorie.)
Mais (et j'arrive à la partie "non technique") : je pense que ça changerait rien. Les gens qui ne vont pas voter le font pour plein d'autres raisons (problèmes de représentation, manque de confiance, pas compris, pas envie, et surtout, surtout : parce que rien à foutre.)
Si tu veux que les gamins votent par internet, la seule soluce, c'est que ça soit par SMS surtaxé, avec Nikos qui organise la soirée électorale.
Ce qui, si ça se trouve, est une piste à creuser, après tout...
Merci !
06 mai 2015