Au train où vont les choses, j'ai décidé, c'est ce que veut l'époque, car l'avenir est fragile, car les esprits sont brusques et nos acquis précieux, oui, j'ai décidé, pour préserver mon mode de vie, pour protéger un bonheur fait de petits plaisirs que l'on s'offre, j'ai décidé, c'est dit, de créer ma société, comme l'époque le veut, entre canal et malaria, un tout petit état, ma société offshore au Panama.

Et j'y cacherai tout, que l'on ne me l'enlève, car la mode est au moins, au tristoune, au zéro, au faux-vivant zombie prisonnier des lubies. Ma boîte panaméenne sera riche en gluten, en baguette bien fraiche, en miche craquelée, en pasta al dente. Et puis il y aura des produits animaux, des matières carnées, bref, de la viande, de la barbaque de jolies bêtes, côtes persillées, côtelettes rosées, magrets et foies de canards dodus et gavés. Même du gentil cheval et du mignon lapin. J'y stockerai du lait au lactose allergène, du brillat-savarin aussi gras que du beurre et de la crème entière qui bouche les artères et qui tient chaud l'hiver à l'heure du dessert — d'ailleurs : glucose, fructose, saccarose, il faudra que j'en entrepose.

Et puis, j'y mettrai toutes les AOC, les vins de pays, les liqueurs, les eaux de vie. J'y mettrai tous les trucs pas bien qui sont pas si mal, l'énergie nucléaire, la voiture à essence, les ampoules à incandescence. J'y mettrai une empreinte carbone, parce que c'est la mienne. Et, pourquoi pas, puisqu'on y est, qu'on se dit tout, crime ultime contre la planète, une cheminée à foyer ouvert.

Pour couronner le tout, j'installerai une antenne-relais (frissons dans les chaumières) par laquelle j'expédierai des messages horribles aux heures de grande écoute : tout mon anticléricalisme et, si j'ai le courage, même, dussé-je me faire des ennemis, courussé-je à l'ombre, je dirai que j'ai fait cuire une côte de bœuf à effet de serre dans une cheminée à foyer ouvert à particules fines, que j'en ai mangé le grillé cancérigène et qu'avec une bouteille de bourgogne cirrhogène et un gratin à la crème cardiovasculaire, c'était un pied d'enfer, nom de Dieu qui n'existe pas.