C'est évident, j'ai toujours existé. C'est évident, le soleil avance au-dessus d'un sol plat et immuable. C'est évident, la techno c'est pas de la musique. C'est évident, le nucléaire est dangereux. C'est évident, la place des religions va régresser. C'est évident, il faut interdire un tas de choses.

Quand on avance dans la vie, dans mon cas au moins, une évidence s'impose et toutes les autres fuient. Celle qui reste et qui grandit nous dit que rien n'est évident. Les gens ont leurs raisons, leurs passions, leurs intérêts à défendre, leurs coutumes, leurs craintes, leurs maladresses qu'il est plus facile d'appeler bêtise et méchanceté que de s'abstenir de juger. Quand on y regarde de près, on s'aperçoit qu'il y a autour de nous bien peu de bêtise et de méchanceté. Pourtant, voilà deux traits bien pratiques chez les autres. Ils expliquent tant de choses et nous dédouanent de tant d'autres. Car voici une autre évidence à faire fuir au plus vite : celle qui nous chuchote qu'envers le bête et le méchant, il est acceptable d'être à son tour bête et méchant.

J'imagine certains porteurs de tolérance acquiescer à ce qui précède. Vous allez peut-être déchanter. Je me méfie de vous plus que de quiconque, certains porteurs de tolérance, qui êtes les premiers à juger, à vous opposer, à trouver de la bêtise et de la méchanceté chez les autres et à emballer cela dans un combat. Bien sûr, toi qui me lis n'es pas de ceux-là. Attends, attends. Je suis navré mais je me dois d'insister. Quels sont tes symptômes ? Tu dis les pauvres, les riches, la populace, les immigrés, les banquiers, les citadins, les agriculteurs, les automobilistes, les cyclistes, les bourgeois, les manifestants, les blancs, les noirs, les patrons, les experts, les scientifiques, les politiciens, les sportifs, les vieux, les jeunes, les hommes, les femmes, les homos, les végétariens, les carnivores, les chasseurs, les boomers... Et ceux que tu nommes, tu les disqualifies. Tu crées, pour le bien de tous, crois-tu, un ennemi invisible à combattre ou un troupeau d'égarés à remettre dans le droit chemin.

Tu les vois, les ingrédients ? Prendre une différence pour de la connerie, généraliser abusivement puis se sentir en droit voire en obligation d'agir connement à son tour. Pas parce qu'on est con. Parce qu'on a peur pour soi ou pour les autres. Parce qu'on veut faire le bien le plus sincèrement du monde.

Et on humilie des gens. On vandalise des boucheries. On fauche des champs. On pille des magasins. On éborgne. On brûle. On détruit. On ne fait pas le bien.

Avec le temps, je me sens de plus en plus en droit de rejeter les idées de ceux qui veulent, même avec la meilleure volonté du monde, les imposer. Il est facile de faire preuve d'une extrême intolérance en prônant la tolérance. Il est facile de faire preuve d'une extrême violence en prônant le respect. Il est facile de se justifier par l'évidence, par la promesse du résultat ou par la loi du talion. Il est facile d'être fatigué de toute la destruction que cela cause. À moins d'un regain général de sagesse et d'apaisement, il est inéluctable que les effets en soient néfastes.

C'est évident, il y a bien peu de bêtise et de méchanceté mais beaucoup de mépris et de maladresse.