Il est aujourd'hui question d'une bande dessinée qui mérite tant d'éloges que je me fends d'un billet dans mon blogue pour en faire la promotion. Et quelle meilleure date qu'un vendredi 13 octobre, quel meilleur endroit qu'un étrange blogue halloweenesque, pour parler de squelettes et de purgatoire ?

Couverture du tome 1

Monsieur Mardi-Gras Descendres d'Éric Liberge commence au moment où Victor Tourterelle, cartographe et père de famille, se réveille à l'état de squelette au milieu d'un désert terne au ciel d'ébène. Il erre sans comprendre ce qui lui arrive. C'est un facteur, squelette lui aussi, qui va le lui expliquer : dans la nuit de mardi-gras au mercredi des Cendres, Victor Tourterelle a glissé sur une petite voiture laissée par son fils sur le sol de la salle de bain. Il s'est brisé la nuque. Ce monde désolé où il a atterri, c'est le purgatoire. D'après le jour de sa mort et selon l'usage, il s'appellera désormais Mardi-Gras Descendres.

Dès les premières pages, on plonge dans un univers graphique et narratif d'une grande richesse. Le trait est fin, détaillé, équilibré. Les squelettes semblent incroyablement expressifs. La mise en couleurs, tout en tons ternes subtilement teintés, distille parfaitement l'ambiance d'une éternelle nuit lunaire.[1] Quant au personnage de Mardi-Gras, c'est un délice de le voir perdre patience, énervé d'apprendre ce qui lui arrive, et plus encore excédé de la société absurde que forme ce purgatoire, état d'esprit qui ne le quittera que rarement au long des quatre tomes que compte la série.

Car sur cette planète désertique, il y a de gigantesques villes. Dans ces villes, on trouve des gargottes qui servent les produits chimiques les plus divers et les plus mortels — après tout, quand on est mort, on ne risque plus rien. Un petit verre de mercure ? Une pinte de ce liquide estampillé HCl ? Ou bien… un café ?

Non. Le café est rare et puissant. Il est la dernière chose qui lie les habitants du purgatoire au souvenir du bonheur terrestre.

case

Voilà le monde où a atterri Victor Tourterelle. Voilà ce purgatoire placé sous le commandement suprême et obscurantiste du Septuagésime et de ses milices. Et voilà que Victor Tourterelle, alias Mardi-Gras Descendres, se retrouve à travailler malgré lui pour la Corniche, société secrète opposée au pouvoir, contre la promesse de pouvoir récupérer son âme. Le travail qu'on lui confie est d'une importance extrême pour la Corniche : cartographier le purgatoire. C'est aussi interdit par le pouvoir en place.

Je n'irai pas plus loin dans la présentation de l'œuvre pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte. Monsieur Mardi-Gras Descendres est une œuvre inspirée et inventive, graphiquement superbe, par un unique auteur qui maîtrise donc autant le scénario que le dessin, ce qui est plutôt rare dans la B.D. franco-belge et permet ici de plonger dans un univers minutieusement conçu. L'intrigue est parfois difficile à suivre, mais ça vaut le coup de s'accrocher un peu. Et le souci accordé au détail graphique et à l'édition (Dupuis) font de ces livres de beaux objets.

Oh, au fait… Éric Liberge était représentant pour un industriel du verre quand il a dessiné le premier tome parallèlement à son travail, pendant ses déplacements. On fait de jolies choses sur les coins de tables.

Quelques liens pour finir :

(Images © éd. Dupuis / Éric Liberge)

Notes

[1] Seule l'édition la plus récente, chez Dupuis, comporte cette mise en couleurs.