C'est terrible, ça. Faut pas me laisser traîner dans les magasins de BD, ça devient ruineux. Hier, j'étais juste parti chercher le quatrième tome de Number 5 (très bon manga dont je parlerai à l'occasion), mais vous savez ce que c'est, on voit de belles couvertures, on regarde à l'intérieur… et quand le simple fait de reposer le livre constitue une déchirure — ce qui heureusement n'arrive qu'occasionnellement —, on sait qu'on ne ressortira pas sans.

Mes deux découvertes du week-end méritent amplement un billet ici…

Un monde formidable (tome 1 sur 2)

Première œuvre d'Inio ASANO parue en France, Un monde formidable le situe d'emblée parmi les auteurs de manga à suivre de près.

Couverture d'Un monde formidable

Ce premier tome (le second et dernier est à paraître) nous offre neuf petites histoires se déroulant dans le même quartier de Tokyo, traitant toutes du malaise de la jeunesse urbaine dans le Japon contemporain. Si certaines situations présentées sont universelles, comme le dilemme entre l'envie de concrétiser ses rêves et l'obligation d'assurer son avenir de manière réaliste, d'autres sont spécifiquement japonaises, comme le problème des brimades à l'école qui, au Japon, peuvent aller très loin dans la violence physique et psychologique (« L'univers des enfants est une véritable reproduction de celui des adultes », dit le corbeau d’Un quartier tout en pente).

Un monde formidable - Un quartier tout en pente

Ainsi, dans Comme un dératé, une jeune fille qui a laissé tomber ses études pour vivre de petits boulots songe à reformer le groupe où elle chantait pour en faire sa vie. Dans Un quartier tout en pente, une fille, tête de Turc de ses camarades, va déjouer la mort pour se faire respecter (problème également abordé dans Étoile blanche, étoile noire). Sunday people nous présente un jeune mangaka[1] divorcé, père d'une petite fille et qui n'arrive pas à percer dans sa profession. Mini grammer et Sans nom présentent respectivement une jeune célibataire et un jeune couple confrontés à un manque dans leur existence.

Au vu de ce synopsis, on pourrait trouver le titre Un monde formidable d'un profond cynisme. Il n'en est rien. Il s'agit bien là du message de l'œuvre dont chaque histoire se termine sur une touche d'optimisme. Oh, ce n'est jamais un optimisme exacerbé, le monde n'est pas tout rose et le titre est peut-être aussi un peu cynique. C'est justement ce qui rend ce manga touchant : pas de happy ends, mais la possibilité d'un bonheur malgré tout. Comme dit le personnage de Mini grammer : « Après tout, aujourd'hui, c'est un beau jour pour commencer quelque chose. »

Un monde formidable - Sunday people

Vous l'aurez compris, je recommande chaudement la lecture de ce manga profondément humain.

Un monde formidable, tome 1, c'est chez Dargaud (collection Made In), et ça coûte 10 euros pour 202 pages.

Un monde formidable - Wandervogel

Zoo (tome 1)

En guise d'introduction, la citation du jour : Il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme. Montaigne

Zoo

À l'aube de la Première guerre, il se trouve en Normandie un vieux château entouré d'un grand parc, hérité de son père par Célestin, le médecin du village. Passionné par les animaux, il en a fait un zoo exubérant, un morceau de territoire qui semble hors du monde. Il y vit avec Manon, jeune fille de 16 ans qui a perdu son père et que Célestin élève comme sa propre fille. Avec eux, Buggy, artiste de passage venu sculpter des animaux rares et dont l'histoire d'amour avec Manon a fait qu'il n'est jamais reparti.

Zoo

Mais ce n'est pas précisément ainsi que débute Zoo, bande dessinée de Frank Pé (dessin) et Philippe Bonifay (scénario).

L'histoire commence en Sibérie où Anna vit heureuse avec son mari, jusqu'à un triste soir où — je ne raconte pas comment — Anna se retrouve défigurée et en exil de son village. Elle sera recueillie par des tziganes dont la caravane croisera la route de Célestin. Immédiatement adoptée par Manon, Anna reste vivre dans le zoo avec la jeune fille, son amant et son père adoptif.

Zoo - Manon et Anna

Zoo n'est pas une œuvre facile à présenter. On peut dire ce qu'elle n'est pas : ni une bande dessinée d'aventures, ni une bande dessinée comique. La majeure partie se déroule en huis clos dans le zoo (qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, par certains aspects, le parc du comte de Champignac dans Spirou et Fantasio… Quand on sait que Frank Pé a longuement collaboré avec le journal de Spirou et qu'il admire Franquin, ce n'est peut-être pas anodin). Zoo, ce sont avant tous ses personnages : humains, attachants pour cela, ils sont de ceux que l'on garde en soi une fois l'album refermé. Zoo, c'est aussi un oasis loin du poids des conventions sociales. Un oasis au sens propre : le zoo mis en scène dans la bande dessinée a tout d'un oasis tant par sa situation isolée que par sa botanique. Et un oasis au figuré : le propos de l'œuvre lui-même est un pied de nez à la société moralisatrice présentée comme un frein au bonheur, voire le vecteur du malheur (l'exil d'Anna, la Première guerre…). En effet, que dirait la société bien-pensante de 1914 d'un vieux médecin qui dilapide l'héritage de son père pour vivre isolé entre ses animaux et une fille qui n'est pas la sienne, cette dernière s'adonnant à l'amour avec un artiste d'âge mûr ? Il en va de même pour les tziganes : méprisés au villages et accueillis chez Célestin. (On laissera au lecteur le soin de comparer avec la société bien-pensante de 2006 et de se demander si les choses ont vraiment changé, et dans quel sens.)

Ce petit monde isolé et diablement incorrect vit pourtant, malgré les aléas de la vie, dans un bonheur certain.

Voilà, j'ai trouvé comment décrire Zoo : c'est une jolie leçon de vie, pleine d'émotions diverses, superbement écrite et illustrée, à laquelle il est difficile de rester insensible.

Zoo, tome 1, c'est chez Dupuis (collection Aire Libre) et ça coûte 14 euros qu'on ne regrette pas.

Quelques liens :

(© KANA / Inio ASANO pour les images d’Un monde formidable, © Dupuis / Frank / Bonifay pour les images de Zoo, © moi pour les photos.)

Notes

[1] Un mangaka est un auteur de manga.