« Mais bien sûr, voilà une source de contenu pour mon blogue : tous ces textes inachevés qui trainent sur mon ordinateur, fragments de nouvelles, de poèmes… »

C'était la réflexion initiale. Las, ce qui s'annonçait comme un moyen peu contraignant de publier rapidement des choses plus construites et réfléchies que d'habitude s'est vite transformé en l'exact opposé : des heures d'exploration, de redécouverte de textes oubliés, de tri, d'hésitation, d'hésitation, et peut-être encore d'hésitation.

Pour utiliser la taxonomie qui m'est propre, le dossier sobrement nommé Textes contient, selon les sous-dossiers qui le composent, une douzaine de textes abandonnés, dix-sept inachevés, vingt-huit en cours (sic… en réalité, deux ou trois), vingt-quatre achevés, deux achevés ratés (re-sic, car les achevés non ratés sont loin d'être tous réussis) et d'autres dont je tairai les catégories.

Là-dessus me viennent deux idées : publier des morceaux choisis de textes abandonnés ou inachevés, ou bien publier des achevés inédits comme je l'ai déjà fait dans ce blogue (ici et ).

Rapidement, la relecture se transforme en une interminable énumération de raisons de ne pas publier tel ou tel texte. Celui-ci est cucul, celui-là trop violent, le suivant mal écrit et l'autre soporifique. Et il y a ceux dont je prendrais l'auteur pour un taré de première si, évidemment, il ne s'agissait pas de moi. Les grands auteurs ont ça pour eux qu'on juge leur œuvre au lieu de les juger eux. Il va de soi que je n'en suis pas un et qu'un de mes écrits qui ressemblerait trop à un de ces textes de Chuck Palahniuk qui vous font monter la bile au fond de la gorge me vaudrait sans doute des réflexions peu désirables. N'est pas Chuck Palahniuk qui veut. Revenons donc à notre amateurisme.

Alors, oui, il y a des écrits dont je suis content. Mais si on exclut les cucul, les violents et les dérangés, il ne reste qu'un ou deux textes en cours — et si j'ai, dans la vie, une unique superstition, c'est de penser que faire lire un texte en cours d'écriture le condamne à rester à jamais inachevé. Comme je le disais, la pseudo bonne idée de départ se transforme en galère impensable.

Ceci dit, je trouve plein de choses intéressantes en parcourant ce foutoir dont certains fichiers remontent à 1999.

Des premières phrases qui posent le décor
  • « Mon vieux, » je me dis en forçant un sourire, « avec tout ce que t'as laissé sur le pavé, on se demande comment t'arrives encore à saigner. »
    J'étais terrifié, mais c'est tellement plus classe de crever avec le sourire.
  • C'est beau, une aile d'avion qui brûle. C'est ce que je me dis en regardant par le hublot. Le revêtement se déstructure en millions de petits fragments noirs ou incandescents. En tout cas, c'est bien plus beau que les braillements dissonants et hoquetants de centaines de passagers.
Des ambiances joliment distillées
  • Le chaud soleil qui avait brûlé les prés toute la journée et contraint le bétail à s'accrocher en grappes aux plus petites zones d'ombres avait complètement disparu derrière l'horizon. Ce qu'il restait de bleu du ciel tombait sur la campagne, s'abandonnant au moindre feuillage, diffusant sa clarté faiblissante jusqu'aux pupilles dilatées des diurnes qui gagnaient leurs abris et à celles, contractées, des nocturnes s'activant peu à peu. Une brise moins chaude enveloppa les arbres dont les feuilles frissonnèrent de plaisir, onde claire qui se répondit à elle-même un peu plus loin, plus faible, presque couverte par le cri d'un animal sauvage. La terre, lentement, se mettait à respirer. Les odeurs, une à une, s'en échappaient comme des fantômes chuchotant des histoires : herbe coupée, écorce moussue, moisson, cheval, pierre humide...
    En avançant, je traversais des poches et des strates d'air alternativement chaud et sec ou frais et humide, au parfum de sable ou bien d'humus.
  • Le ciel était d’un gris métallique, incrusté de filaments cuivrés couleur de soleil mourant.
Des personnages mémorables

Il tourna la tête vers l'oiseau.
« Salut, mouette. Qu'est-ce qui t'amène ?
— C'est toi qui m'amènes. Qui d'autre ferait atterrir à ses pieds une mouette qui parle ? »

Des jeux de mots ébouriffants

L'amour étant fan de poèmes…

Des scènes d'action

La file d'attente semblait assez courte ; voilà probablement à quoi je pensais en avançant vers la vitrine du photographe. Je me dis que la file d'attente était courte et mon épaule droite explosa. Ma main droite s'ouvrit par réaction mécanique ; je libérai ma main gauche pour la plaquer sur l'articulation en miettes. Le cadeau de Lisa se brisa net en tombant.

De la tension

J'avançais contre tout, surtout contre le temps qui, sadique, décomptait les battements de mon cœur.
(Je crois que de tous mes textes, c'est la phrase qui a la meilleure rythmique.)

Et donc ?

Et donc, comme écrit plus haut : aujourd'hui, rien de montrable en entier.

La citation du jour

Il faut collectionner les pierres qu'on vous jette. C'est le début d'un piédestal. Hector Berlioz