Mise en situation : début du week-end dernier. Vendredi soir au Théâtre national de Toulouse, pièce d'Éric Vigner : Pluie d'été à Hiroshima, adaptation de La pluie d'été et Hiroshima mon amour de Marguerite Duras.

Je vais rarement au théâtre ; là, j'avais l'occasion. Je n'ai jamais rien lu de Duras. Là, j'avais l'occasion de découvrir.

Petite peur, les premières minutes, d'être tombé dans un traquenard intello-chiant. Mais non ! J'accroche. J'accroche à fond à l'adaptation de La pluie d'été. C'est bien fait… Qu'est-ce que c'est bien fait ! Et ce qui est dit, comme c'est bien dit ! On me répondra avec condescendance : oui, c'est bien dit, c'est du Duras. Pas grave, je maintiens l'évidence. Et puis merde, c'est bien joué, et ça, c'est pas une évidence.

Je ressors du théâtre avec l'impression réelle, persistante, que quelque chose s'est ajouté à ma vie. L'impression d'avoir clairement entendu et compris des choses qui jusque là n'étaient que vagues, intuitives et intangibles. Oh, bien sûr, à l'heure où j'écris ces lignes, tout cela est redevenu vague, intuitif et intangible. J'ai l'espoir que lire La pluie d'été puisse à nouveau me rapprocher de cet état particulier.

Enchaînement. Samedi matin, tôt, gare de Toulouse. Trouve-t-on du Duras dans une librairie de gare ? Non mais, tiens, Milan Kundera.

Je me rappelle que c'est Benjamin qui m'avait conseillé, il y a bien longtemps, de lire du Kundera. Je ne sais pas comment je peux me rappeler ça. Ça fout les boules de se rappeler qu'il y a, quoi ? six ? sept ans ? quelqu'un vous a conseillé un auteur. Tant pis. Tant mieux !

Focalisons : la veille, je sors du théâtre empli d'une espèce de sérénité nouvelle. Samedi matin, je m'apprête à partir en week-end, à partir loin avec un petit sac à dos pour oublier un peu le boulot (stressant ces derniers temps) et même le reste. Pour vivre, quoi. Comment, dans ces conditions, pourrais-je ne pas me précipiter sur un petit roman intitulé La lenteur ?

Dans le train, la lecture me passionne même si elle m'égratigne un peu. C'est un roman qui dit gentiment leurs vérités à tout un tas de gens fictifs mais fort inspirés. Je dis gentiment car il n'y a ni reproche ni accusation, juste une constatation un brin amère sur l'état d'une société dont les valeurs se nomment vitesse et gloire et les symptômes oubli et exhibitionnisme. Malheureusement mais sans surprise, de par mon empressement constant, de par le moi exacerbé qui suinte par tous les pixels de ce blogue, je suis symptomatique de mon époque.

L'écriture de Kundera est délicieuse. Elle est d'une simplicité admirable, c'est du français sans fioritures, sans style marqué, ça coule tout seul. L'histoire est ponctuée d'un humour acerbe, la galerie de personnages mémorable.

La lenteur se lit vite. Arrivé à Angoulème, je l'ai presque achevé. Pas grave, Boris Vian attend dans le sac à dos.

À la gare d'Angoulème, Bertrand, parti en voiture de Reims avant d'embarquer Laure et Stéphane à Paris, est d'une ponctualité, disons-le sans détours, sans attendre, sans hésiter et sans empiler les compléments circonstanciels, impressionnante. S'ensuivra un week-end placé sous les signes respectifs du cognac, de la bouffe, du réchauffement climatique et de lavieauchanellechangelavie. Surtout : un week-end où l'on découvre que le repos ne tient finalement pas tant au sommeil qu'à la possibilité de décompresser durablement (ce à quoi un voyage, si petit soit-il, est toujours propice).

Les ravages du réchauffement climatique

Le retour vers Toulouse ne comporte aucun évènement notable, sinon 1° l'achèvement ravi de La lenteur et 2° la relecture toujours émue de quelques poèmes de Boris Vian. Si, un jour, dans six-sept ans, vous tombez sur les poèmes de Vian, lisez le plus beau d'entre tous (je trouve), celui dont le premier vers fait Elle serait là, si lourde et peut-être vous penserez à moi, vous penserez à ces six-sept ans, vous vous étonnerez qu'après tant de temps il vous reste la mémoire de ce conseil lu sur un blogue vaniteux et vous vous en épancherez sur votre propre blogue, pas mieux, pas pire.

Ainsi va aujourd'hui. Aujourd'hui, j'ai acheté du Duras et du Kundera.

La cit… non… le poème du jour

Tout a été dit cent fois
Et beaucoup mieux que par moi
Aussi quand j'écris des vers
C'est que ça m'amuse
C'est que ça m'amuse
C'est que ça m'amuse et je vous chie au nez.

Boris Vian