Qu'est-ce que je fous ici ? Mais qu'est-ce que je fous ici ?

Qu'est-ce qui m'a pris de dire à mon boss que j'étais invité à ce séminaire et de suggérer qu'éventuellement je puisse y aller ? Je voulais juste un peu de changement. C'était innocent, pas méchant, pas suicidaire.

Vingt minutes que je suis dans ce couloir du Sofitel de l'aéroport où on nous fait patienter en attendant la première présentation. Les spots halogènes et les murs gris foncé, c'est à se flinguer. Au moins, il y a du café et des croissants. Même les tasses design sont déprimantes.

Mais qu'est-ce qui m'a pris ? Je me sens con, mais con, à attendre ici au milieu de tous ces gens. La plupart sont venus en clan. Pas cons. J'ai vu les badges. Là-bas, c'est le clan Airbus. Là, le clan Latécoère. Eux, c'est Snecma. Et moi, je connais personne et je sais pas où me poser. Ça se fait de s'appuyer contre un mur ? Personne le fait. Non, de toute façon, j'aurais le spot au-dessus de la tête, je ressemblerais à un tableau. Voilà, je vais regarder les espèces de tableaux d'art moderne accrochés aux murs. Non, ils sont vraiment moches. Putain, je déteste ça, je voudrais qu'ils ouvrent la salle pour pouvoir m'asseoir anonymement. Ah, ici, je suis un peu en retrait, ça fait un bon observatoire. Sauf que je bouche l'ascenseur.

Y'en a d'autres qui sont seuls et qui se font chier. Bien fait pour leur gueule. Ceci dit, ils font ça bien. On voit qu'ils se font chier mais ils assument à fond. Je manque d'expérience, là.

Et meeeerdeuh ! J'aime pas être ici. Je vais faire les cent pas dans le couloir. Voilà. Je sors mon agenda pour m'occuper les mains et le regard. L'agenda dont je me suis jamais servi. Je vais y recopier les rendez-vous qui sont dans mon téléphone, ça prendra au moins… Pfiou, vingt secondes. Putain.

J'étais en marche automatique, j'ai fait demi-tour et me revoilà au milieu des autres. Lui, que je croise, c'est un des types qui organisent la journée. Je l'ai vu sur son badge tout à l'heure… C'est quoi ce regard condescendant qu'il a posé sur moi ? C'est parce que j'ai pas de costard ? Que je suis venu en pull et veste en cuir ? Mais non, y'en a d'autres qui sont habillés comme ça. Tiens, ouais, comment les gens sont venus ? 50% costard. Quelques jeans. Beaucoup de chemises, quelques pulls. Putaiiiin… 100% chaussures noires. Je suis le seul à les avoir marron, je suis vert.

Et puis c'est quoi ces conneries d'habillement ? Pourquoi ça me préoccupe ? On vit pas en dictature. Quoique. J'aurais dû mettre mon T-shirt avec l'explosion stylisée d'un immeuble de bureaux, esprit Fight Club. Là, j'aurais compris.

Nan, ce regard, c'est mon comportement. Je suis le seul à avoir sorti des bidules de mes poches pour jouer avec. Le seul à tourner en rond. Le seul à pas tenir en place. Le seul à espérer qu'un évènement survienne qui rompe la monotonie. Ils sont vachement doués, les autres. Ils bougent pas. Ils se fondent dans le décor. Comme des élèves endormis qui attendent le prof dans le couloir. Mais qu'est-ce que je fous ici ? Bon, je me pose où je suis, au milieu, pieds à plat, mains dans les poches et je bouge plus !

Mais quel con, j'ai rien trouvé de mieux que de me rappeler que j'ai failli me planter en bagnole ce matin. Et voilà, ça me fait flipper.

Et puis c'est quoi, ça ? D'où elle a sorti ça, la société moderne, les costards, les murs gris, les séminaires ? Ça pourrait être ma vie. Si la boîte meurt pas, elle va forcément grossir, on m'a dit. Manager ou expert, on m'a dit, si ça arrive, à moi de choisir. Ce sera sans doute pas mal payé. Ce sera pas inintéressant.

Alors pourquoi je suis pas sûr de vouloir ça ?

Pourquoi j'ai envie de me barrer en courant du Sofitel de l'aéroport ?