La chute du mur, je ne m'en souviens pas. J'avais presque neuf ans et venais donc d'entrer en CM1, si mes calculs sont exacts. Je ne me rappelle pas qu'on en ait parlé à la maison et je ne me rappelle pas qu'on en ait parlé en classe. Je ne savais pas ce qu'étaient le communisme, le rideau de fer, l'économie de marché, la RDA, la RFA, ni qui étaient ces gens dont on pouvait parfois entendre parler : Gorbatchev, Khrouchtchev et d'autres noms étrangers… Je me rappelle que mon frère avait le 45 tours de Russians de Sting et que j'aimais bien cette chanson dont je n'ai compris le sens que bien plus tard. Moi, je jouais aux Lego et je faisais du vélo avec les copains. Ça et n'avoir pas conscience des problèmes idiots du monde, c'était le bonheur absolu.

Je ne le savais pas encore, mais l'année suivante, j'entrerais dans un établissement franco-allemand où je resterais jusqu'au bac. Là, j'en ai bouffé, du mur de Berlin. Il y en avait même un morceau sous une vitrine dans la bibliothèque. Mais je n'ai jamais eu la curiosité de chercher à comprendre. Ça me faisait chier. Soit, des pays ne s'aimaient pas, ils avaient construit un mur et c'était une énorme connerie. Bon. On peut pas plutôt aller en cours de maths ou de physique ? Je suis même allé en voyage de classe en ex-RDA, une première fois à Weimar, une seconde fois à Berlin, sans me soucier de tout ça. L'est, l'ouest, quelle importance, c'est l'Allemagne et ça va être atroce car je parle cette langue avec l'aisance de… Non, aucune métaphore ne pouvait refléter mon désespoir linguistique (plus tard, une fois que j'aurais fini de l'étudier, j'apprendrais à aimer cette langue).

Finalement, peut-être que j'ai commencé à me soucier de tout ce bazar historique en discutant avec les parents de mon correspondant à Weimar. Je me rappelle une longue soirée passée à écouter leurs récits d'avant la réunification (ils utilisaient des mots si simples et articulaient si bien que mes tympans devenaient perméables à leurs phrases, ce qu'ils n'avaient jamais été fichus de faire en cours d'allemand). Lui était architecte mais ils avaient droit au même logement que tout le monde, ni plus, ni moins. Ah, bon. D'autres anecdotes du genre. Les années d'attente pour la voiture, etc. Et puis, le choc. Avant la chute du mur, ces gens-là ne mangeaient jamais de bananes ! À côté d'une nouvelle pareille, la Stasi, c'était du pipi de chat.

Je crois que c'est le jour où on a arrêté de me saouler avec que je me suis intéressé à Berlin, à son mur, au bloc de l'Est, en ouvrant des livres et en regardant des documentaires à la télé. Le jour où j'ai réalisé que j'avais passé neuf ans de ma vie durant la guerre froide et que ce n'était pas seulement une fausse guerre de livre d'histoire. C'est passionnant, l'histoire, quand ce n'est pas noté.

Tiens, j'aimerais bien retourner à Berlin.