Les vieux laboratoires terminent leurs journées sous la lumière crémeuse de plastiques jaunis par le temps.

Le soir venu, ils enveloppent les gens et stylos d'une aura de papier gommé et de paillasse acide. Les ventilateurs brassent l'air, l'odeur, la lumière et les aspirations en un flux crépusculaire qui s'aplatit en nappes, descend en bouffées et circule lentement, partout, sans s'arrêter d'arriver. Bourdonnements au ras du sol. Halos électroniques fugaces. Interrogations anciennes et nouvelles. Chaleur et froid sereins.

Nulle part plus qu'ici n'oublie-t-on les débuts et les fins ; nulle part l'existence n'est-elle plus simple qu'au milieu de cet univers inoffensif aux questions neutres et infinies, importantes par leur plus absolue insignifiance, prises une à une. Importantes car elle nous détournent des nôtres. Terriblement efficacement. Comme des ours en peluche.

Parfois, comme oubliant d'exister, un tube fluorescent cesse sa lumière le temps d'un hoquet ou deux. Parfois, une boule duveteuse d'air chaud tombe d'une grande grille rectangulaire peinte d'un jaune épais autour d'abîmes d'obscurité verticale menant au vaste monde fondamental de l'intérieur des murs. Tout se passe là.

Des gens traversent occasionnellement les grandes salles carrées pleines de choses plutôt claires et arrondies, adressent un sourire bienveillant, continuent confiants, aspirés par les portes des couloirs.

Si nos vies sont en nous, ignorantes de nous, la vie du monde est ici. Elle circule à l'infini, lentement, interstitielle, par quanta d'humanité, de mots, de matière, sans se soucier d'avoir à le faire. Elle écoute sans tympans et elle dit sans parler. Elle mesure et elle envoie. Au milieu travaillent les plastiques jaunis dont la lumière révèle à peine l'étendue d'une vaste obscurité.