En prenant ma dose quotidienne de Google News (je sais, c'est mal), j'ai noté que la rubrique Culture avait été renommée Divertissements. C'est anecdotique. Mais c'est peut-être aussi symptomatique.

~ Allégorie de la culture ~Google News a cela d'intéressant qu'étant un outil automatique, il sait révéler l'intérêt que l'on porte à des articles sans intérêt — vous me suivez ? On y retrouve, pêle-mêle, grands quotidiens nationaux, blogs documentés, blogs douteux (comme celui-ci), torchons de « journalisme citoyen » à la AgoraVox (voir à ce propos l'excellent article de Frédéric Filloux sur Monday Note), dépêches brutes, le tout couvrant l'essentiel du spectre de l'information, depuis les news people jusqu'à l'actualité politique internationale en passant par la littérature, l'économie, les faits divers, l'actualité scientifique, etc. Seule l'information la plus spécialisée est laissée de côté.

Il est normal qu'on ait renommé Divertissements une rubrique Culture où abondaient les nouvelles sur la santé de Johnny et les analyses ô combien pertinentes (ex falso sequitur quodlibet[1]) de Koh Lanta par Morandini. J'ignore si les dessous technologiques du système de catégorisation de Google News auraient permis une scission entre une vraie rubrique Culture (littérature, cinéma, histoire, BD, philo, etc.) et une rubrique People. À la limite, peu importe. Dans un cas, le symptôme est un choix de Google dicté par la Sainte Demande du Marché, dans l'autre il est la contamination des informations, le mélange des genres. Dans les deux cas, la cause est une tendance plus générale.

On peut bien entendu s'intéresser aux derniers ébats de Brad Pitt et Angelina Jolie. Je m'intéresse bien aux engueulades entre Apple et Adobe qui, ces derniers temps, sentent aussi bon qu'un bébé Courjault après une panne de courant (classe, non ?). Mais il y a quelque chose de pourri (comme un bébé Courj… Bref) à entretenir une zone floue où savoir les noms des candidats de télé-réalité serait un bon premier pas vers une culture discount suffisante pour briller à la pause café.

Le divertissement rend nos vies plus agréables : tant mieux s'il s'épanouit. C'est l'effacement de la culture qui est embêtant. Les deux sont d'ailleurs a priori distincts. Le divertissement peut être culturel ou non, la culture peut être divertissante ou non. C'est la façon dont on nous sert l'un et l'autre qui les lie de façon ambiguë. La France est un pays où le divertissement rend coupable quand il est servi sec. Où le plaisir non dilué dans la souffrance est quelque chose de louche, de pas catholique. C'est aussi un pays où l'enseignement de la culture est souffrance. Aussi, pour s'absoudre, on transforme des faits divers en documentaires, des descentes de police en reportages. On a trop craché sur la télé américaine pour accepter de reconnaître que le public français n'est pas moins avide de sensations et d'instincts primaires qu'un autre. On crée une caution culturelle, on crée des marques qui tentent de véhiculer l'impression d'une certaine intelligence (Capital sur M6 en est un excellent exemple : la leçon économique véhiculée par chaque émission est proche de zéro mais la caution de l'émission dite économique déculpabilise les spectateurs venus en quête de sensationnel — on leur a tellement dit que lire ou regarder la télé sans se cultiver était un péché !).

À force de vouloir éduquer une élite culturelle gavée de grands classiques indigestes et de faire de cela une sorte de définition officielle de la culture, c'est exactement le résultat opposé qui est atteint : les pourvoyeurs de messages se sont emparé de formes culturelles (le journal, le documentaire, etc.) pour les vider, n'en garder que les coques mortes et y mettre des choses agréables — uniquement agréables, mousseuses, light et sans substance. On faisait pareil, à l'école, en glissant bédés et autres distractions au milieu des livres scolaires pour faire semblant d'étudier. Seulement, étant à l'origine du trucage, on était conscient de la manœuvre.

Inversement, l'apparition de ces formes pseudo-culturelles vides a permis une certaine stigmatisation de formes plus canoniques, au point qu'il est de bon ton, par exemple, de cracher sur le cinéma français d'auteur. On est ainsi dans une hypocrisie générale où il est plus respectable et facile d'apprécier Capital et Zone Interdite, divertissement instantané maquillé en culture, que de regarder Cops (vil voyeur !) et d'aimer Les Harmonies Werckmeister (vil intello !), qui pourtant ne mentent pas sur leur nature et sont en cela bien moins dérangeants. Trouvé-je.

Et c'est encore le même processus de coquille vide qui est à l'œuvre quand des professeurs de français se vantent d'avoir dompté leur classe en leur faisant lire Harry Potter. Autant dire qu'il faut emmener au McDo un gosse qui refuse son dîner. De même qu'on n'est pas obligé de dégoûter les gamins de la nourriture à coups de choux de Bruxelles et d'endives au jambon, il y a suffisamment de grands livres passionnants pour trouver un juste milieu entre l'emmerdement de Balzac et la vacuité éducative d'Harry Potter (certes divertissant mais dénué d'enseignements et parfaitement inutile dans une salle de classe — mais la forme convient car c'est un livre).

Je reconnais à ce billet un caractère un peu bordélique. Qu'en retenir ? Sans doute, que la culture, celle qui parvient tant bien que mal à traverser les ans, à porter des idées et des enseignements qui nous permettent d'échanger et de penser plus facilement en tant que membres d'une même société, qui nous distrait et nous divertit, aussi — c'est généralement gage de durabilité —, cette culture n'aurait pas à craindre d'être renversée si on n'avait cherché simultanément à la déifier et à en faire un dieu trop craint et trop complexe à adorer. Si elle n'est certainement pas près d'être renversée, on a cependant commencé à l'occulter et ça ne fait pas de mal de s'en préoccuper.

Et on peut se dire que quand les pourvoyeurs de culture cesseront de cracher sur les pourvoyeurs de divertissement, le divertissement foutra la paix à la culture et lui rendra son territoire.

En attendant, il faut qu'elle continue à traverser les ans. Sinon, parmi des milliards de choses, on risquerait d'oublier cette phrase de Fahrenheit 451 :

Le système scolaire produisant de plus en plus de coureurs, sauteurs, pilotes de course, bricoleurs, escamoteurs, aviateurs, nageurs, au lieu de chercheurs, de critiques, de savants, de créateurs, le mot “intellectuel” est, bien entendu, devenu l'injure qu'il méritait d'être.

Tant qu'on se souviendra que cela a un jour été de la fiction, on refusera que cela n'en soit plus.

Notes

[1] D'une connerie, on peut déduire n'importe quelle connerie de façon pertinente.